L’incident de l’Ocean Glider

Mer de Chine du Sud – États-Unis – Chine

par le général (2S) Daniel Schaeffer

L’événement

Le 15 décembre 2016, à 13h45 locales, à 49 milles marins (approximativement 92 kilomètres) au nord-ouest de Subic Bay, aux Philippines, les Chinois ont subtilisé en mer un drone sous-marin américain de recherche scientifique, de type Ocean Glider, au nez et à la barbe de son navire-mère l’USNS Bowditch, soit à 450 mètres de ce dernier.

L’incident s’est produit au moment où le bâtiment américain récupérait deux de ces appareils en fin de leur parcours de mesures. C’est à ce moment-là que le bâtiment chinois de sauvetage de sous-marins, de la classe Dalang III, immatriculé ASR 510, qui jalonnait l’USNS Bowditch dans sa mission de recherche hydrographique, a mis à la mer un canot de sauvetage pour récupérer le drone avant que son propriétaire ne puisse le faire.

Drone Ocean Glider
Drone Ocean Glider

À la demande radio de l’équipage américain de restituer l’appareil, les Chinois ont répondu par un pied de nez : « nous retournons à nos opérations normales ».

L’incident a aussitôt déclenché une série de réactions en chaîne la première étant la démarche du Département d’État américain auprès du ministère chinois des Affaires étrangères pour demander à la Chine de restituer le matériel. Le 19 décembre, les discussions étaient toujours en cours, les Chinois ayant promis de le rendre « de manière appropriée », pour une restitution ce mardi 20 décembre en un lieu de rendez-vous convenu en mer de Chine du Sud.

La seconde réaction a été celle de Donald Trump alors qu’il n’est pas encore en fonction mais qui a qualifié « sans précédent » l’opération chinoise de « vol » de matériel militaire américain.

Quant aux Philippines, après s’être déclarées « très troublées » par l’incident, leur secrétaire d’État à la défense, Delfin Lorenzana, tout en visant les Américains sans les accuser expressément, a tenu à rappeler que ces activités, qui empiètent sur le droit des Philippines relatif à ses ressources dans sa zone économique exclusive (ZEE), violent les droits des Philippines dans leur ZEE ».


L’analyse d’Asie21

  • Sur le plan politique, le fait que les Chinois acceptent de restituer le matériel démontre que, à leurs yeux, les réactions de Donald Trump ne valent pas puisqu’il n’est pas encore président en place des États-Unis et que, à ce jour, c’est toujours le président Obama qui est en poste. Apparemment cependant, ce dernier ne s’est en aucune manière manifesté, laissant ses services s’occuper de l’affaire.
  • Sur le plan du droit de la mer, se posent plusieurs questions.
    • En tout état de cause, l’incident s’est produit dans la ZEE des Philippines. Formellement, et en vertu de l’article 246 de la Convention des Nations unies, « Recherche scientifique marine dans la zone économique exclusive et sur le plateau continental »les États-Unis auraient dû obtenir le « consentement » préalable des Philippines pour pouvoir y opérer. Ce qui ne semble pas du tout avoir été le cas si l’on en juge par la déclaration de Delfin Lorenzana.
    • Après examen des informations parvenues de différentes sources, l’incident ne s’est pas produit à l’intérieur de la « langue de buffle », cet immense pan de mer délimité par le tracé en neuf/dix traits, espace marin sur lequel la Chine continue à prétendre à des droits souverains au minimum, si ce n’est la souveraineté, et ce en contravention avec le jugement rendu par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye le 12 juillet 2016. Celle-ci a en effet déclaré le tracé en neuf traits « sans effet légal », ce qui juridiquement l’invalide sans aucune ambiguïté. Ce que ne reconnaît pas la Chine.
    • La Chine est donc intervenue de manière illégale contre les activités de l’USNS Bowditch en ce sens qu’elle l’a fait en violation du droit à la liberté de navigation en haute mer. Il est rappelé que, en termes de droit à la pleine liberté de la navigation celle-ci s’exerce sans restriction, y compris celle de pratiquer des exercices militaires, sur tous les espaces marins jusqu’aux limites des eaux territoriales des Etats côtiers. Les excuses données par la Chine en termes de veille à la sécurité de la navigation sont fallacieuses pour plusieurs raisons :
      • Le Dalang III ASR 510 n’est pas un bâtiment para-naval de surveillance maritime mais bien un navire de la marine chinoise.
      • Compte tenu de ce que la vocation de l’ASR 510 est le sauvetage de sous-marins en perdition, il entrait tout à fait dans ses capacités de récupérer un matériel tel que l’Ocean Glider. Même si le procédé utilisé pour y parvenir a été, en l’occurrence, d’une banale simplicité. Que la mission de jalonnement de l’USNS Bowditch ait été confiée à l’ASR 510 n’a donc rien de surprenant.
      • La zone où a eu lieu l’interception ne se situe en aucun cas sur les grandes voies de transit des lignes commerciales internationales qui passent par la mer de Chine du Sud. Celles-ci passent à l’ouest des Spratleys alors que l’incident l’Ocean Glider s’est produit à l’est.
      • L’intervention chinoise s’est produite en violation de l’article 95 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), « immunités des navires de guerre en haute mer », selon lequel « Les navires de guerre jouissent en haute mer de l’immunité complète de juridiction vis-à-vis de tout État autre que l’État du pavillon ». Même si le Bowditch n’est pas armé, il est un bâtiment de la marine des États-Unis et donc couvert par les dispositions de l’article 95. Mais la Chine n’en est pas une interprétation erronée près de la CNUDM.
      • Pour leur défausse, les Chinois font valoir que l’activité de recherche hydrographique des États-Unis, dès lors que ses résultats faciliteront la navigation des sous-marins en mer de Chine méridionale, la sécurité de la Chine est par voie de conséquence potentiellement compromise. C’est tout à fait vrai. Au même titre que la sécurité de l’Amérique est compromise lorsque les sous-marins chinois viennent en reconnaissance autour de Guam, ce contre quoi, dans le respect du droit de la mer, les Américains ne s’insurgent pas dès lors que les curieux ne pénètrent pas dans la mer territoriale des États-Unis.
  • Sur le plan du renseignement technologique, la pêche de l’Ocean glider ne devrait pas rapporter grand-chose aux Chinois puisque, selon la marine américaine, c’est un matériel qui peut être acquis sur étagère, non couvert par une quelconque clause de confidentialité. En outre, les Chinois ne devraient pas avoir de problème pour accéder aux informations collectées sur les eaux explorées par le drone puisque de telles données ne sont pas classifiées.

Commentaires 

Ce n’est pas la première fois que les Chinois tentent de faire obstruction aux missions de relevés hydrographiques de l’USNS Bowditch. Ils savent très bien combien il est important pour la navigation, sous-marine en particulier, de pouvoir collecter des informations sur tous les paramètres des eaux locales et de leurs variabilités : température, salinité, conditions de propagation des ondes, courants sous-marins, etc…

Les précédents incidents entre Chinois et Américains du Bowditch :

  • 24 mars 2001 : en mer Jaune et à proximité de la Corée du Sud, soumis à des manœuvres d’intimidation d’une frégate chinoise de la classe Jianghu-III, il est contraint d’abandonner sa mission. Le Bowditch revient plus tard sur zone avec une escorte de protection.
  • 24 septembre 2002, en mer Jaune encore, le navire océanographique est harcelé par des patrouilleurs et de avions chinois, ce qui le contraint à quitter le secteur de sa mission
  • En mai 2003, un bateau de pêche chinois, vraisemblablement des milices navales, l’éperonne et lui cause des dommages. Pas d’informations sur le lieu exact de la rencontre.

Informations documentaires complémentaires (cliquer sur les liens)

  • Sur l’USNS Bowditch
  • Sur l’Ocean Glider, véhicule sous-marin sans pilote (unmanned underwater vehicle / UUV)
  • Sur la conduite des opérations des drones sous-marins américains : les drones sont de la responsablité du Bureau océanique naval (Naval Oceanographic Office). Les “gliders” sont pilotés par des employés civils du Bureau, à partir du Stennis Space Center, dans le Mississippi, qui guident les matériels en passant par un système crypté de transmissions par satellite. Le trajet des drones ne couvre que quelques milles marins par heure et est suivi par des navires océanographiques tels que l’USNS Bowditch. Les données recueillies ne sont pas classifiées (source : Missy Ryan et Dan Lamothe, “Pentagon: Chinese naval ship seized an unmanned U.S. underwater vehicle in South China Sea”, Washington post, 17 décembre 2016, accessible ici)

 

Général (2s) Daniel Schaeffer, Asie21