Le désert et la source. Djihad et contre-djihad en Asie centrale

René Cagnat, Les éditions du Cerf, 2019

René Cagnat, colonel en retraite de l’armée française, ayant choisi d’abandonner l’uniforme alors qu’il allait devenir général – ce qui l’aurait obligé de quitter l’Asie centrale -, connaît fort bien cette région dans laquelle il inclut non seulement les pays ex-soviétiques mais aussi l’Afghanistan et le Xinjiang. Depuis, qu’il a cessé ses fonctions d’attaché de défense à Tachkent, il passe plusieurs mois par an à Bichkek d’où il parcourt la région à laquelle il voue une véritable fascination, au-delà même du Kyrgyzstan.

L’auteur affirme qu’il n’a pas écrit un livre d’érudition. Et pourtant, il l’est da https://images-eu.ssl-images-amazon.com/images/I/514H1S1f-LL.jpg ns une large mesure. Dans ce livre au titre accrocheur autant que mystérieux, Le désert et la source, René Cagnat décrit les mouvements insurrectionnels divers (talibans pakistanais et afghans, État islamique, réseau Haqqani…) en mentionnant leurs actions en Afghanistan et de manière plus générale en Asie centrale. Pour lui, l’islamisation de la région progresse, en partie par les activités déployées par l’Arabie saoudite et les autres pays du golfe Persique. Elle se manifeste par la détérioration de la condition féminine à laquelle l’auteur consacre un chapitre entier. Le réveil religieux a sonné dans cette région hétéroclite, de 130 millions d’habitants, au fort accroissement démographique, en proie à la corruption et où se répand la drogue. Le Tabligh al Djamaat (Association pour la prédication), né en Inde en 1927, et le Hizb-ut-Tahriq en sont des vecteurs. L’implication du Pakistan, fortement islamisé, dans les événements qui secouent l’Afghanistan ne fait aucun doute. Mais les talibans pachtouns ne pourront pas gouverner tout l’Afghanistan car les Ouzbeks, les Tadjiks et les Hazaras s’y opposeront. L’auteur n’exclut pas l’annexion de quelques territoires afghans par le Pakistan et l’Iran. Il affiche son pessimisme sur l’avenir de l’Asie centrale dont il décrit, pays par pays les caractéristiques.

La Chine retient son attention. Ses prêts alourdissent les services de la dette dans les pays centre asiatiques ex-soviétiques. Elle tisse un réseau d’autoroutes, de voies ferrées, de gazoducs et d’oléoducs. Les centres Confucius se multiplient, particulièrement au Kyrgyzstan. La Chine encouragerait certains de ses ressortissants à s’implanter au Kyrgyzstan (où ils représenteraient 4 % de la population) et au Tadjikistan. Des détachements militaires chinois d’observation et de reconnaissance sont déployés dans le Pamir tadjik et peut-être dans le Wakhan afghan. L’alliance ou tout au moins la bonne entente entre la Russie et la Chine est jugée comme étant contre nature. Elle résulte de la politique américaine d’hostilité à l’égard de la Russie.

L’auteur ébauche quelques scénarios possibles concernant l’avenir de l’Asie centrale. Certains peuvent paraître contestables comme l’aide qui, potentiellement, pourrait être apportée à l’État islamique (Daech) pour saboter les routes chinoises de la soie. Mais ils ont le mérite de susciter les réflexions.

L’auteur se livre à des débordements poétiques et lyriques (apparaissant en italique) qui traduisent son attrait pour l’Asie centrale. Il porte une véritable admiration pour les femmes qui le fascinent par leur beauté. Les pages 110 à 115, 246 à 253 sont révélatrices de l’amour que l’auteur éprouve pour la région. Elles constituent des fragments de ce qui pourraient devenir des mémoires, ébauchées par ailleurs avec l’évocation des affectations de l’auteur en Europe de l’Est et en Europe balkanique. Car le livre déborde largement du cadre géographique de l’Asie centrale.

René Cagnat a signé un bel ouvrage, fort bien écrit, qui intéressera non seulement les spécialistes de l’Asie centrale mais les lecteurs avides de connaissances sur une région du monde d’une grande beauté et en plein bouillonnement. Il complète avec bonheur la liste de ses publications précédentes.

Alain Lamballe, Asie21