Commerce : Chine et États-Unis entrent en guerre de tranchées

le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Donald Trump lors du dîner d'État au Grand Hall du Peuple à Pékin le 9 novembre 2017. (Source : SCMP)
le président chinois Xi Jinping et son homologue américain Donald Trump lors du dîner d’État au Grand Hall du Peuple à Pékin le 9 novembre 2017. (Source : SCMP)
À observer le bal des négociateurs, on pensait la Chine et les États-Unis tout près d’un accord. Mais en une semaine, la guerre commerciale a repris de plus belle. Donald Trump impose de nouveaux droits de douanes massifs aux importations chinoises. Pékin riposte et en réponse, Washington prépare une nouveau salve. Mais que s’est-il passé au juste ? Qui a le plus à perdre ? Pourquoi les Chinois choisissent-ils de « se battre jusqu’à la fin » ?

La riposte de Pékin ne s’est pas fait attendre. Lundi 13 mai, trois jours après la hausse à 25 % des taxes américaines sur 200 milliards de dollars d’importations chinoises et moins de deux heures après le tweet menaçant de Donald Trump – « La Chine ne doit pas réagir, sinon cela ira plus mal » -, le ministère chinois des Finances a annoncé en représailles une augmentation des droits de douanes sur la moitié (60 milliards de dollars) des importations américaines. Sur 2493 produits, les droits seront portés à 25 % ; pour les autres, ils grimperont de 5 à 20 %. Dans la liste, des avions de tourisme, des ordinateurs, des tissus, de la viande, du blé, du vin et du gaz naturel liquéfié. Sont exclus les composants automobiles et les voitures qui avaient fait l’objet d’une suspension de droits pendant les négociations.
Le même jour, Washington préparait une contre-riposte. Pour contrer les représailles chinoises, le président américain veut élever à 25 % les droits de douanes sur 300 milliards de dollars supplémentaires, un taux qui couvrira tous les produits importés de Chine. Le département du Commerce a donc publié la liste des produits concernés et annoncé une audition publique le 17 juin prochain. A la différence des précédentes listes de juillet et septembre 2018 qui étaient composées de biens intermédiaires, la nouvelle comprend des biens de consommation, à commencer par les notebooks, les ordinateurs portables et les téléphones, les chaussures, les habits et les jouets.
Réagissant à cette nouvelle menace, le directeur du Global Times, le quotidien officiel du Parti aux accents nationalistes, a évoqué dans un tweet des réflexions en cours sur la vente de Bons du Trésor américain par Pékin. Avec 1100 milliards de dollars, 5 % du total, la Chine en est le premier détenteur étranger. Depuis un semestre, elle en vend en moyenne pour 20 milliards de dollars chaque mois. Procéder à des ventes massives bouleverserait le marché et provoquerait une baisse de rendement qui réduirait la valeur des réserves chinoises. Aussi le plus probable est-il que ce mouvement continue, la Chine attendant que ses bons arrivent à maturité pour les vendre.

SAPER LA « CHINAMÉRIQUE »

Si elle se concrétise, cette nouvelle hausse américaine transformera le conflit en une véritable guerre commerciale. Si l’impact du passage à 25 % (sur 200 milliards) a été évaluée à 600 dollars par ménage, la généralisation à tous ces produits pourrait tripler la facture. Les électeurs les plus modestes de Donald Trump en pâtiraient le plus. L’impact n’en serait pas moins grave sur l’économie chinoise : Moody’s l’évalue à une perte d’1,2 point de PIB, ramenant la croissance de la Chine à 5 %.
Le rééquilibrage du commerce avec Pékin était une promesse de campagne de Donald Trump. Élu président, il a lancé les hostilités l’année dernière, quelques mois avant les élections de mi-mandat. Un an plus tard, les relations avec la Chine sont devenues un enjeu des présidentielles de 2020. Les Démocrates partagent sa position sur le dossier chinois mais critiquent son attitude envers l’Europe et le Canada. Ils attaqueront à boulets rouges un deal qui serait une simple promesse d’importation de produits américains par la Chine. Ils sont sur la même longueur d’onde que les faucons de la Maison Blanche : Robert Litghthizer, le représentant au Commerce, et Peter Navarro, conseiller du président, utilisent la fougue de Donald Trump pour obliger la Chine à procéder à des réformes structurelles, freiner sa progression et saper l’imbrication de la « ChinAmérique ».
Cette offensive américaine fonctionne-t-elle ? En 2018, Pékin pouvait encore calibrer ses ripostes aux salves de Washington. Ce n’est plus possible en 2019, car la Chine manque de munitions : elle importe en effet des États-Unis cinq fois moins qu’elle n’y exporte. Ses ripostes restent donc modérées. Or le commerce entre les deux superpuissances, 5 % du PIB chinois, reste un enjeu crucial. Au premier trimestre 2019, les injections de liquidité par la Banque Centrale de Chine ont pallié l’impact de la contraction de 10 % des échanges bilatéraux sur la croissance, qui est restée forte. Mais ce ne sera pas le cas au second trimestre : les ventes de détail ont ralenti en avril et à moins d’un brusque accès de faiblesse du yuan (son taux est resté quasi stable depuis janvier), son érosion ne suffira pas à compenser l’impact de la hausse des droits de douane sur les exportations.

QUE S’EST-IL PASSÉ À PÉKIN ?

L’observation des derniers épisodes de cette « drôle » de guerre commerciale laisse songeur. Revenons à ce qui a déclenché la riposte américaine. La semaine dernière, les Américains ont manifestement été surpris. Jusque-là, ils étaient assurés que les négociations avaient avancé sur plusieurs dossiers, notamment sur les transferts de technologie et la propriété intellectuelle. Mais ils ont découvert que le texte de 150 pages mis au point avait été réduit à 105 pages. Plus rien sur les procédures de vérification des engagements ou sur les entreprises d’État. Que s’est-il passé à Pékin ? Les négociateurs ont-ils été désavoués ? Y a-t-il eu des dissensions au sein du pouvoir central ? Quoi qu’il en soit, ce changement illustre le virage pris par la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping.
En 2012, sous le patronage du Premier ministre Li Keqiang, la Banque Mondiale et la puissante commission chinoise pour le développement et la réforme (NDRC) publient China 2030. Ce texte déroule la feuille de route pour éviter à la Chine le piège des pays à revenu intermédiaire. Il conseille de laisser plus d’espace au secteur privé, à l’instar de l’État coréen dans les années 1990. Mais en 2017, Xi Jinping tourne le dos à ces conseils. L’État est de retour en Chine, comme l’analyse dans le détail le livre de Nicholas Lardy. Pas question d’accepter une ingérence ni de réformer les entreprises d’État. Le Parti communiste chinois les considère comme un instrument essentiel de son pouvoir, et redoute les conséquences d’une réforme dans un contexte de croissance plus lente que dans les années 1990 – à l’époque, leur restructuration avait provoqué des licenciements massifs.

LE RENDEZ-VOUS D’OSAKA

Américains et Chinois se sont donné un délai de réflexion de deux semaines. Les hausses des droits de douane prendront effet le 1er juin. Cette pause sur le front commercial n’empêche pas une reprise des attaques sur le front technologique. Huawei a ainsi été placé sur la liste noire par Donald Trump et les entreprises américaines doivent désormais obtenir une autorisation pour lui vendre des composants.
À moins que les négociateurs des deux camps trouvent un accord d’ici le 1er juin, l’issue du conflit reposera sur la rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump au sommet du G20 à Osaka les 28 et 29 juin prochains. De part et d’autre du Pacifique, les perceptions diffèrent. Les deux chefs d’État ont chacun le sentiment de pouvoir l’emporter sur l’autre : Xi Jinping, qui maîtrise mieux le dossier, pense que Donald Trump a besoin d’un accord avant les élections de 2020 ; le président américain, qui se juge meilleur négociateur, estime que la bonne conjoncture économique aux États-Unis lui donne l’avantage sur le numéro un chinois qui redoute la prolongation d’un conflit. En réalité, Xi Jinping et Donald Trump risquent de s’enferrer dans une guerre de tranchées.
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21