Mer de Chine du Sud – Menaces chinoises contre un avion américain de reconnaissance maritime

Ce 10 août 2018 un avion américain de patrouille maritime Poséidon P-8A effectuant un survol de la mer de Chine du Sud, notamment au-dessus de quatre des îles artificielles créées par les Chinois dans les îles Spratleys, a été impérativement sommé, à six reprises, de quitter les espaces aériens des sites observés. Le commandant de l’appareil, le lieutenant Lauren Callen, n’a pas obtempéré, faisant valoir qu’il opérait en toute légalité, dans le respect du droit international de la mer.

Photo source : https://www.boeing.com/defense/maritime-surveillance/p-8-poseidon/index.page

La retranscription des échanges est intéressante :

  • Les Chinois : « Avion militaire américain, ici la Chine… Quittez immédiatement et restez dehors pour éviter tout malentendu » (“US military aircraft, this is China … leave immediately and keep out to avoid any misunderstanding”).
  • Le commandant du Poséidon : « je suis un aéronef naval américain souverain et jouissant de l’immunité, conduisant des activités militaires légales en dehors de l’espace aérien de tout Etat côtier. En exerçant ces droits garantis par le droit international, j’opère dans le plein respect des droits et des devoirs de tous les Etats » (« I am a sovereign immune US naval aircraft conducting lawful military activities beyond the national airspace of any coastal state, » « In exercising these rights guaranteed by international law, I am operating with due regard for the rights and duties of all states. »

Techniquement l’appareil, avec à son bord une équipe de journalistes de CNN et de la BBC, a effectué son survol à 5 000 mètres d’altitude au-dessus des récifs Subi, Fiery Cross, Johnson et Mischief (voir carte, encadrés rouges épais). La patrouille a pu constater l’évolution des travaux de construction et d’équipements militaires sur les plateformes installées quasiment au ras de la mer. Elle a dénombré 86 bateaux de tous types dans le lagon de Subi, en particulier des navires de garde-côtes.

Officiellement, à la date du 13 août 2018, le gouvernement chinois n’a pas encore réagi à l’action américaine.

 

 

Commentaires : Le risque dans de telles opérations, considérées comme des provocations par les Chinois, est de voir de telles situations dériver vers des incidents graves malgré l’adhésion des deux parties, depuis 2014, en même temps que 19 autres pays, dont la France, au Code pour les rencontres non planifiées en mer (Code for Unplanned Encounters at Sea / CUES). Dans le cas présent les Chinois se sont contentés de proférer des avertissements verbaux alors qu’ils auraient pu faire sortir des avions de chasse pour encadrer l’appareil américain, comme ils l’ont déjà fait en d’autres circonstances (note : le 1er avril 2001 interception d’un EP-3 Orion par un J-8 chinois à 70 milles marins, soit 120 kilomètres, de l’île chinoise de Hainan). Cela n’a pas été le cas ce 10 août. Ce qui peut traduire une volonté chinoise de retenue encore de mise aujourd’hui. Mais cela peut signifier aussi que les Chinois n’ont pas encore basé sur les « trois majeures » (Subi, Fiery Cross, Mischief), dans les hangarettes prévues à cet effet, les J-10 ou J-11 présumés devoir y être affectés. Cette prospective à court terme se déduit de ce que les Chinois ont déjà entrepris récemment, en termes d’équipements militaires, dans les îles Paracels.

Ainsi le bras de fer se poursuit en mer de Chine du Sud entre Pékin et Washington qui entend souligner que les Chinois s’exonèrent du droit international de la mer en prétendant à souveraineté sur la majeure partie du bassin, souveraineté en aucun cas reconnue par quelque Etat que ce soit, hormis Taiwan qui partage les mêmes ambitions que le continent au nom de la grande Chine. Dans ce cadre Pékin continue en effet à refuser le verdict prononcé le 12 juillet 2016 par la Cour permanente de La Haye qui le déboute de ses prétentions à vouloir faire une mer territoriale de l’espace marin enserré dans le tracé en neuf / dix traits. Rappelons aussi que Washington n’est pas seul à batailler pour faire valoir le droit international de la mer auprès des Chinois. La capitale américaine est en cela concrètement soutenue, de diverses manières, par le Japon, l’Australie, l’Inde, le Canada, le Royaume-Uni et la France, symboliquement par d’autres pays européens comme l’Allemagne.

Daniel Schaeffer, Asie21