Corée du Sud : écoliers excellents, universités moyennes, diplômés au chômage

Le mot est faible. Les écoliers coréens travaillent beaucoup plus que les Finlandais qui réussissent mieux au test Pisa. Bien classée, la Corée du Sud ne conserve pas son avance à l’université et au-delà : la compétence des adultes au travail est moyenne et le taux de chômage des jeunes diplômés s’en ressent. Pourquoi un tel paradoxe ?

Chaque année, pendant la seconde quinzaine de novembre, près de 500 000 élèves sud-coréens vivent les épreuves du College Scholastic Ability Test (CSAT), l’équivalent du baccalauréat. Ce jour-là, pour éviter les embouteillages, les bureaux ouvrent plus tard et en début d’après-midi, les décollages d’avion sont retardés pour ne pas troubler l’épreuve orale d’anglais. Les parents allument des cierges tout au long de cette journée, l’aboutissement de plusieurs années durant lesquelles ils ont vécu au rythme de leur enfant. Ce questionnaire à choix multiples détermine le choix de l’université : l’admission dans une SKY (Séoul National University, Korea University ou Yonsei University) est un passeport pour une carrière dans l’administration ou les Chaebols, ces grands conglomérats comme Samsung ou Hyundai.

LA TRADITION DES CONCOURS

Au XIVe siècle, inspiré par la Chine, le roi de Corée instaure le Gwageo, un concours de recrutement des fonctionnaires ouvert à tous où l’une des épreuves consiste à critiquer les politiques publiques et proposer des solutions. Pendant l’occupation japonaise, entre 1910 et 1945, l’administration coloniale donne la priorité au cycle primaire et à l’enseignement technique, et introduit le concours d’entrée dans les universités où les résidents japonais sont deux fois plus nombreux que les Coréens.
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À l’indépendance, la société coréenne est saisie par une fièvre pour l’éducation qui continue à ce jour. Le gouvernement instaure l’école primaire gratuite et obligatoire dont les effectifs triplent en quinze ans (3,6 millions en 1960). Faute d’encadrement suffisant, les classes sont surchargées – jusqu’à 100 élèves par enseignant. En 1960, alors que la Corée se classe parmi les pays les plus pauvres, huit enfants sur dix sont scolarisés dans le primaire, davantage que dans le reste de l’Asie (hors Japon). Un écolier sur deux franchit le concours d’entrée du cycle secondaire particulièrement éprouvant si l’on en croit l’adage : « avec trois (heures de sommeil par jour) on passe, avec quatre on rate ». Il est supprimé dans les années 1980, et le gouvernement généralise l’éducation secondaire avant plusieurs pays de l’OCDE.

L’accroissement des admissions et la démographie ont sextuplé la population étudiante. Elle a grimpé de de 430 000 à 2,3 millions entre 1980 et 1995, date de la réforme qui a autorisé la création de nouvelles universités privées, un an après l’introduction du CSAT. La multiplication des universités privées a porté la population étudiante à 3,3 millions en 2010. Aujourd’hui, 70 % des Sud-Coréens de 24 à 35 ans ont reçu une formation universitaire.

APRÈS L’ÉCOLE, C’EST ENCORE L’ÉCOLE

Le budget de l’éducation qui donne la priorité aux cycles primaire et secondaire, représente 4 points de PIB en Corée, le même pourcentage que dans les autres pays de l’OCDE. Cet apport est doublé par l’effort sans équivalent des familles : elles consacreraient en moyenne 150 euros chaque mois à l’éducation, et plus de la moitié y consacre au-delà de 300 euros.
Cet effort sans précédent a donné naissance à une véritable industrie qui propose des enseignements, des livres, des DVD et des cours en ligne. Trois écoliers sur quatre fréquentent un ou plusieurs hagwon, ces très coûteux établissements privés d’aide à l’étude. Il en existe près de 100 000 en Corée, dont 6 000 rien qu’à Gangnam, le quartier huppé de Séoul où est née la K-Pop. Interdits dans les années 1980, les hagwon ont continué de fonctionner dans la clandestinité jusqu’à ce que la Cour suprême les autorise au début de la décennie 2000. Quelques années plus tard, le gouvernement a exigé qu’ils ferment leurs portes à 22 heures – une décision aussitôt contournée par la diffusion des leçons en ligne. Plus nombreux que dans les écoles publiques, les enseignants des hagwon sont mieux rémunérés.
Chaque semaine, après avoir passé en salle de classe dix heures de plus que les écoliers européens, les jeunes Sud-Coréens étudient de longues heures dans les hagwon et continuent à la maison jusqu’à 2 heures du matin. Un sur deux manque de sommeil et neuf sur dix ont moins de deux heures de loisir pendant le week-end.
La Corée du Sud n’est pas une exception en Asie. Depuis 20 ans, Coréens et Singapouriens rivalisent à la première place du classement TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study), et le pays compte parmi les cinq premiers aux tests du Program for International Student Assessment (PISA) qui mesurent la maîtrise de la lecture, du calcul et des sciences.

LA CORÉE DU SUD ET LA FINLANDE

Les heures passées à étudier ne suffisent pas à rendre compte des performances sud-coréennes. Prenons les élèves finlandais : ils obtiennent de meilleurs résultats que les Coréens au test Pisa alors qu’ils passent moins de temps à l’école, ne fréquentent pas les boîtes à bac et travaillent très peu à la maison ! Comment expliquer que deux systèmes aussi opposés l’un de l’autre obtiennent de très bons résultats à des tests identiques ?

La Corée du Sud et la Finlande ont en commun la qualité de leurs enseignants. L’éducation est une profession valorisée qui dans l’un et l’autre pays attire les meilleurs étudiants. La sélection pour l’admission aux institutions de formation, au niveau maîtrise pour un instituteur, est extrêmement sévère avec dans les deux pays, un ratio de 100 candidats pour 5 postes. En Corée, tradition confucéenne oblige, les enseignants sont respectés : « On ne devrait jamais marcher sur l’ombre d’un professeur », dit le proverbe. Selon les données de l’Union des Banques Suisses en 2015, la rémunération d’un instituteur coréen approche celle d’un ingénieur. Mesurée en parité de pouvoir d’achat, elle se classe cinquième dans l’OCDE – après le Luxembourg, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. Il faut aussi tenir compte des avancées pédagogiques – pour les mathématiques – et de la qualité du suivi : à la différence de la France, les résultats des tests PISA révèlent très peu d’écarts entre les écoles en Corée comme en Finlande.

UNE FAIBLE EFFICACITÉ

À la fin du secondaire, les jeunes Sud-Coréens ont un niveau élevé de connaissance. Mais cette avance n’est pas conservée au niveau de l’université. En 2018, la Corée est 22ème rang (la France est 17ème) au classement des systèmes d’éducation supérieure, selon Universitas 21 (Australie). Une liste dominée par les États-Unis, la Suisse et le Royaume-Uni. Dix universités sud-coréennes dont Seoul National University (150ème) apparaissent au classement de Shanghai. Ce résultat sanctionne la faible mobilisation des universités pour la recherche. En effet, la mobilisation de la Corée pour la R&D – 4,2 % du PIB, un record mondial – est le fait des Chaebols, des grands instituts publics et des universités d’État. Bien plus nombreuses, les universités privées souvent dépourvues d’écoles doctorales, et font peu de recherche.
Au-delà des études, que dire des compétences des Sud-Coréens au travail ? Moins médiatisé que le PISA, le Program for the International Assessment of Adult Competencies (PIIAC) compare les facultés cognitives et les compétences dans le monde du travail d’une quarantaine de pays. Alors que les élèves de Corée du Sud dominent le test PISA, les adultes ont tout juste la moyenne au classement PIIAC, à égalité avec les Français, loin derrière les Japonais et les Finlandais qui caracolent en tête. Cette situation pourrait évoluer, car si les Sud-Coréens de plus de 55 ans sont classés parmi les derniers au PIIAC, les plus jeunes (15-24 ans) talonnent les Japonais.
Les résultats du PIIAC permettraient d’élucider un paradoxe coréen. Les diplômés des universités, hormis ceux qui sortent des plus prestigieuses, sont plus touchés par le chômage. Du fait de l’automation, ce sont les postes de travail exigeant une qualification moyenne qui disparaissent le plus vite. Dans ce contexte, les diplômés des cycles longs – excepté là encore ceux des universités les plus prestigieuses – ont plus de difficultés à se faire embaucher. Ainsi répondent-ils à des offres auxquelles peuvent prétendre les diplômés des colleges qui se rabattent sur des emplois n’exigeant aucune formation universitaire. Cependant, la tendance pourrait changer. Les compétences s’améliorent, signale l’analyse des résultats du PIIAC. Cette situation pourrait n’être que transitoire.
Jean-Raphaël Chaponnière, Asie21
Asialyst