2030. La guerre de retour ! 

Par le Général Dominique Delort

Les éditions Le Sémaphore, Paris, 2022

Dans cet ouvrage de 315 pages, le général de corps d’armée (2S) Dominique Delort décrit des guerres sur plusieurs fronts en 2030.

Après la fin de la guerre en Ukraine, l’OTAN périclite. En 2030, nous dit l’auteur, les États-Unis d’Europe sont nés. Ils disposent d’un président, le Français Antoine Honfleur. Le ministre de la Défense est une italienne. Le responsable du Service d’information des armées est également italien. Un droit de véto est accordé aux seuls pays membres fondateurs, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Mais il est limité à l’évolution possible de la Constitution de l’Europe fédérale. La capitale à laquelle on a donné le nom d’Europa s’est installée sur le Rhin. L’Europe occupe au Conseil de sécurité de l’ONU le siège permanent qu’avait la France.

Le président, élu par la chambre des députés, est le chef de l’armée européenne. Celle-ci, désormais unifiée, a établi provisoirement son état-major à Paris, dans la caserne Balard avant son installation définitive dans la région allemande de Kehl, en face de Strasbourg. Le chef interarmées, désigné sous l’appellation de Commandant du haut état-major européen (CHEME) est un général d’armée allemand, Ernst Ruhr, ancien chef de la Bundeswehr, qualifié de très brillant. Sous ses ordres se trouve notamment le général de corps d’armée français Côme Albères à la tête du Centre opérationnel des armées (COA), lequel avait auparavant commandé le COA français. Le général Albères dispose d’un adjoint naval qualifié d’excellent, l’amiral allemand Gunther von Offenburg. Au COA, le général espagnol Pablo Cadaques pilote la cellule Égée, et le colonel français Oviri Croche, la cellule Sahel. Une Française dirige la cyberdéfense, la générale Diane Vincin. Le volet renseignement, confié à un général polonais, fonctionne mal car l’unification tarde à se faire. L’auteur regrette l’absence dans l’état-major, d’officiers britanniques dont il souligne la valeur. Bien qu’ayant quitté l’Union européenne, le Royaume-Uni partage les mêmes intérêts et souhaite coopérer dans le domaine de la défense mais rien ne se concrétise. Les Américains apportent leur aide dans le domaine du renseignement mais le général Albères préfèrerait ne pas dépendre d’eux car ils défendent avant tout leurs propres intérêts stratégiques. On découvre le fonctionnement complexe du COA au fil des pages .

 

L’auteur sélectionne trois théâtres d’opérations actifs en même temps dont il étudie l’évolution par alternance et par ordre chronologique : Moyen-Orient, Sahel, Pacifique. Les forces opérationnelles terrestres capables d’intervenir rapidement sont fournies par la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Les Grecs interviennent dans leurs îles. D’autres nations accordent des moyens aériens et navals. Les Américains restent en retrait, sauf dans le Pacifique où ils réagissent face aux activités chinoises. Toutes les actions se déroulent en un peu plus de trois jours. Grâce à la technique, des images des combats sur le terrain apparaissent en temps réel au COA.

 

Au niveau des théâtres d’opération, l’amiral italien Patricio Marengo commande la flotte de Méditerranée orientale depuis son PC de Naples. Le chef d’état-major grec assure la coordination de la lutte dans les îles de la mer Égée. Le général français Philippe de Provence commande la force européenne au Sahel. L’amiral espagnol Figueras commande la flotte du Pacifique ; il a sous ses ordres le capitaine de vaisseau Batllo espagnol lui aussi, commandant la flottille des navires basés en Nouvelle-Calédonie.

 

Les protagonistes côté ennemi sont le colonel turc Modu Cholak commandant de régiment, Brahim El Mansouria le chef algérien du groupe islamiste au Sahel allié à des Touaregs et à des Songhaïs et l’amiral chinois Lee Wang commandant la flotte du Pacifique sud.

 

Sur le front moyen-oriental, on assiste à un assaut turc contre des îles grecques : Lesbos, Chios, Samos, Rhodes, Simi…L’utilisation des migrants par les Turcs vise à déstabiliser la résistance grecque. Les Grecs résistent bien dans les deux îles principales, Lesbos et Rhodes.

 

Sur le front sahélien, le groupe islamiste attaque Gao. L’Algérie refuse le droit de survol des A400M Atlas. Mais l’Europe s’adapte et prend l’avantage par une tactique appropriée.

 

Dans le Pacifique, une flotte chinoise moderne, presque aussi performante que la marine américaine, pénètre dans la zone économique exclusive et même dans les eaux territoriales de la Nouvelle-Calédonie alors que celle-ci est frappée par des manifestations indépendantistes, bénéficiant de l’aide chinoise. Elle dispose d’un porte-avions, de frégates et d’un sous-marin nucléaire d’attaque. Des bateaux de pêche agissent à son profit mais se trouvent sous les ordres des services spéciaux. Les ambitions démesurées en haut lieu et les fautes commises par des exécutants expliquent la défaite chinoise.

 

Tout en décrivant le déroulement des opérations sur les trois théâtres, l’auteur nous livre ses réflexions sur divers thèmes politiques et militaires : le fonctionnement des institutions européennes fédérales, l’usage de la diplomatie, l’inclusion des ex DOM/TOM français dans les États-Unis d’Europe, l’emploi non sans difficulté de trois langues de travail (français, allemand, anglais), l’insertion récente des femmes dans les armées qu’il approuve, l’utilisation toute nouvelle de l’intelligence artificielle qui fait encore l’objet de méfiance de la part des états-majors à l’égard des solutions proposées, le brouillage des communications, la généralisation de la guerre cyber, l’utilisation systématique des drones dans les combats terrestres et navals, la manipulation des populations, les divers types de guerre y compris urbaine et guérilla…

 

L’auteur décrit avec réalisme les combats sur terre, dans les airs et en mer. Il est tout particulièrement qualifié pour le faire car il s’appuie sur son expérience militaire acquise au cours d’une carrière qui l’a conduit notamment à la tête du Centre opérationnel des armées françaises et sur de solides connaissances historiques et géographiques. À l’évidence, il connaît bien les terrains sur lesquels se déroulent les combats. Il nous transmet ses opinions par l’intermédiaire du général Albères, qu’il affiche par ailleurs dans la postface. Il affirme son optimisme à l’égard des États-Unis d’Europe en soulignant leur résilience sur les trois théâtres d’opération. Il attribue ces succès notamment à la parfaite entente entre le général allemand chef du haut état-major européen et le général français chef du centre opérationnel des armées, ce dernier étant le personnage principal de l’ouvrage. Aucun pays européen, seul, n’aurait pu faire face à ces trois crises simultanées. Le livre apparaît comme une profession de foi envers l’Europe, bénéficiant de la dissuasion apportée par la force de frappe nucléaire française.

 

Abordant des sujets sérieux, par des scénarios fruits de l’imagination fertile de l’auteur mais plausibles de guerre du futur, le livre se lit comme un roman de  fiction. De fait, l’auteur le définit ainsi. Il retient l’attention du lecteur en entretenant le suspens passant d’un théâtre d’opérations à l’autre comme dans la réalité et en alternant avec les activités trépidantes du COA. La mort des protagonistes turc, algérien et chinois laisse envisager des victoires européennes bien que le récit s’arrête alors que les combats se poursuivent. Des renforts européens arrivent en Grèce et au Sahel et une flotte américaine fait route vers la flotte chinoise. Des combats navals entre la Chine et les États-Unis se profilent-ils ? Libre aux lecteurs d’imaginer la suite. Mais qui s’attendait au sort inattendu du général Côme Albères. Est-ce la continuation des combats par d’autres moyens ?

 

L’auteur rend vivant son récit en laissant parler les protagonistes des conflits en cours, en faisant dialoguer les généraux et autres officiers sur les théâtres d’opération avec ceux du COA. Le style est alerte et clair. Au final, le lecteur découvrira un livre passionnant, un roman certes mais bâti sur une évolution géopolitique possible bien que sans doute trop optimiste en ce qui concerne l’Europe.

Alain Lamballe, Asie21