La Corée du Sud va-t-elle changer de moteur économique ?

Depuis quelques mois, bruits et fureurs entourent la péninsule coréenne. Kim Jong-un multiplie les tirs de missiles dont la portée s’allonge, le Président Trump agite des menaces. Dans ce contexte belliqueux, le Sud vit une transition qui attire moins l’attention.

Fin 2016, indignée par le scandale du « Choigate« , la population s’est révoltée et l’enquête parlementaire a révélé un énième cas de collusion entre l’État et les chaebols, ces conglomérats qui dominent l’économie. Ces révélations ont abouti au départ de la présidente et à l’élection en mai 2017 de Moon Jae-in. Le nouveau président a décidé de reprendre la restructuration engagée par le président Kim Dae-jung pendant la crise asiatique, « l’IMF crisis » pour les Coréens. Il engage cette bataille dans une conjoncture économique morose.

La Corée et le ralentissement chinois

Cinquième puissance industrielle, et cinquième exportateur après l’Allemagne et devant la France, la Corée du Sud subit l’impact du ralentissement économique de la Chine, son principal partenaire commercial. Le commerce sino-coréen représente le double du commerce franco-allemand. Premier fournisseur de la Chine devant le Japon, la Corée dégage un excédent substantiel. Mais en dépit de la reprise des huit premiers mois de 2017, ses exportations restent en deçà de ce qu’elles étaient en 2010.

Le ralentissement chinois n’est pas la seule explication. En effet, le gouvernement sud-coréen ayant accepté l’installation sur son sol du bouclier antimissile THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), Pékin a pris des mesures de rétorsion dont les grands groupes présents en Chine font les frais. Lotte, cinquième chaebol, va fermer 87 hypermarchés car il est victime d’un boycott. Pour les mêmes raisons, les ventes de Hyundai – troisième sur le marché automobile chinois – ont chuté de 40 % cette année. La Chine n’est pas le seul sujet d’inquiétude de la Corée du Sud. Elle est dans le collimateur de Trump qui exige la renégociation de l’accord de libre-échange américano-sud-coréen (KorUS), coupable à ses yeux d’avoir détruit 100 000 emplois américains. Enfin, en remettant en cause l’accord avec l’Iran, le président américain a jeté un baquet d’eau froide sur la « fièvre iranienne » qui a saisi les Coréens depuis deux ans. Missions officielles et commerciales se sont multipliées en Iran avec lequel le gouvernement de Séoul envisageait la signature d’un traité de libre-échange.

Exportations de la Corée du Sud

La restructuration ?

Dans le passé, les gouvernements abandonnaient leurs tentatives de restructuration des chaebols au premier signe de ralentissement pour relâcher la bride de ces conglomérats familiaux, fers de lance de l’industrie coréenne à l’étranger. Cela n’est pas (encore) le cas du président Moon Jae-in qui s’est entouré de personnalités militant depuis plusieurs années pour la restructuration des chaebols : son conseiller à la Maison Bleue est Chang Ha-Sung, professeur à la Korea University et frère de l’économiste hétérodoxe Chang Ha-joon basé au Royaume-Uni. Chang défend depuis 1996 les intérêts des petits porteurs. Un autre universitaire, Kim Sang-jo, dirige désormais la Fair Trade Commission, une institution qui n’a jamais été très offensive contre le pouvoir de ces groupes.

La restructuration a deux objectifs : imposer plus de transparence aux chaebols et réformer le système de participations croisées entre filiales qui permet aux familles des fondateurs de détenir un pouvoir considérable. Ce contrôle serait de 25 % chez Samsung, 30 % chez Hyundai et 37 % chez SK et LG. L’absence de transparence explique le « Korean discount » : la valorisation boursière de leurs filiales est inférieure à ce que l’on attendrait de groupes aussi puissants. Depuis plusieurs années, les chaebols se redéploient sur le marché coréen en entrant dans des activités de services (agences de voyages, voire des chaines de pâtisserie), où leur seul avantage est un meilleur accès au crédit bancaire. La concentration de l’économie autour des ces grands groupes crée un tel dualisme parmi les salariés, qu’elle a contribué à la transformation de la Corée devenue l’un des pays les plus inégalitaires en Asie. Depuis 2000, la part du revenu du premier décile et du 1 % le plus riche a augmenté de respectivement de 31 % à 44 % et de 6,6 % à 12 % du revenu.

Vers une croissance plus inclusive

L’élargissement du marché, la création d’emplois pour les jeunes et la promotion des PMI sont les priorités du gouvernement Moon. La consommation est bridée par l’endettement des ménages qui représente 95 % du PIB, un taux parmi les plus élevés au monde – au-delà du seuil de 75 % jugé dangereux par la Banque des Règlements Internationaux. A l’origine de cet endettement – dont une part importante est composée de dettes à trois ans renouvelées à l’échéance –, il y a le vieillissement de la population plus rapide qu’en Chine ou au Japon – un Coréen sur sept a plus de 65 ans aujourd’hui, un sur trois en 2040. Poussés à la retraite avant l’âge légal, les salariés perdent jusqu’aux deux tiers de leurs revenus et s’endettent pour maintenir leur train de vie et créer une nouvelle activité dans ce pays où la moitié des séniors vit en dessous du seuil de pauvreté. Pour relancer la consommation, le gouvernement propose d’une part une hausse de 16 % du salaire minimum l’année prochaine et de 55 % d’ici la fin de son mandat en 2020 – il atteindra 7,5 euros de l’heure. D’autre part, Moon Jae-in souhaite augmenter de 50 % le minimum vieillesse (porté à 225 euros) et créer des emplois pour les seniors.

Si la situation des seniors est difficile, celle des jeunes l’est tout autant. Bien qu’ils soient parmi les mieux formés au monde, comme l’attestent les résultats aux tests PISA des écoliers, ils ont du mal à trouver un emploi. Le chômage des jeunes a grimpé de 7 % en 2013 à 11 % en 2017, soit trois fois la moyenne nationale. Les recherches d’emploi se concentraient sur les chaebols qui désormais embauchent moins et créent plus d’emplois en dehors de Corée. De leur côté, les PMI ont du mal à embaucher car elles proposent des salaires moins élevés (un écart de 40 % en moyenne) et des contrats de courte durée. Aujourd’hui, deux Coréens sur trois occupent un emploi précaire. Le budget financera la création de 800 000 emplois sur cinq ans et des mesures pour les jeunes et les plus démunis.

La stratégie du président Moon n’est pas critiquée par les institutions financières internationales. Au contraire, depuis plusieurs années, le FMI conseille au gouvernement sud-coréen d’adopter une stratégie plus inclusive : étant peu endetté, il en a les moyens. Cependant, en accélérant le mouvement de transition car la constitution ne lui permet de faire qu’un mandat, le président risque de faire déraper une stratégie qui a soulevé beaucoup d’espoir. Depuis son élection, la croissance reste molle, autour de 3 %, et elle est tirée par la reprise des exportations vers la Chine.

Jean-Raphaêl Chaponnière, Asie21

Ce billet a été initialement publié sur Asialyst.com : https://asialyst.com/fr/2017/10/23/coree-du-sud-changer-moteur-economique/