Le projet de corridor de développement reliant, par le détroit de Béring, les continents eurasien et nord-américain

Rémi Perelman, Asie21 (avril 2015)

I Consistance du projet

Destiné à relier les réseaux ferroviaires russe (européen, chinois, etc.) et nord-américain (américain, canadien) le projet comprend trois segments complémentaires :

1) Côté russe : un « corridor » multimodal de 3 850 km (rail, route, gazo- et oléoducs, transport d’énergie électrique, fibre optique) entre Pravaya Lena (au sud de Iakoutsk, capitale de la république russe de Sakha (Iakoutie)) à Uelen, à l’extrémité orientale du continent eurasiatique ;

2) le franchissement du détroit de Béring par un tunnel (ou un pont) de 103 km, d’Uelen à Cape Prince of Wales ;

3) Côté nord-américain, entre le cap Prince of Wales en Alaska et Fort-Nelson au Canada un « corridor » de 2 844 km devra être construit .

Les autorités russes semblent convaincues que le temps est maintenant venu de mettre en œuvre ce projet, d’une portée économique considérable à terme, et qu’il pourrait être prêt entre 2030 et 2045. Au moins trois raisons les y poussent malgré (ou peut être paradoxalement à cause de) la difficile situation dans laquelle se trouve son économie du fait de la dégradation du rouble et la baisse brutale du prix du pétrole :

1)  les fruits des deux importants contrats gaziers en 2014 avec la Chine lui assure des rentrées régulières pendant 30 ans ;

2) la volonté d’accrocher le développement de  la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe à un projet spectaculaire ;

3) la concurrence avec la Chine pour ne pas lui laisser le monopole – et les avantages – des Routes de la soie.

Tout se passe en effet comme si la Russie ne voulait pas laisser la Chine parler seule des Routes de la soie, la majeure partie de la route terrestre devant, géographie oblige, passer par la Russie : « la Chine parle, nous, nous agissons »

 

II L’histoire du projet

 

Divers projets de tunnel ferroviaire sous le détroit ont été formés depuis le XIXe siècle.

Depuis la prise de Kazan en 1552 et la conquête du Tatarstan par Ivan le Terrible, la Russie n’a cessé de pousser vers l’Est. L’Alaska, « l’Amérique russe », colonisée par les trappeurs russes dès 1761 – la mer gelée en hiver autorise le passage – est acheté par les États-Unis en 1867. En 1890, William Gilpin, le premier gouverneur du Colorado imagine de franchir le détroit de Béring dans le cadre d’un réseau de chemins de fer à l’échelle mondiale (le Cosmopolitan Railway).En 1902, un ingénieur et architecte français, le baron Léon Loicq de Lobel, est autorisé à procéder à l’étude d’un tunnel ferroviaire sous le détroit de Béring. Il en résulte une « Note sur le projet de Trans-Alaska-Sibérien, voie ferrée devant relier l’Amérique à l’Asie », non datée. Le projetest présenté au tsar Nicolas II en 1905. La révolution de 1917 puis la période de la guerre froide et le délabrement post-soviétique l’ont relégué aux oubliettes. Toutefois, en 1942, Franklin Roosevelt, dans l’esprit du New Deal, propose de relier l’Alaska à la Russie par un tunnel, mais sans suite aucune.

Entre 2006 et 2013, l’extension du Transsibérien vers Iakoutsk et les prévisions portant jusqu’au détroit lui-même d’ici 2030 redonnent vie à ce projet maintes fois annoncé (le tunnel sous la Manche n’avait-il pas été imaginé en 1801 et fait l’objet d’un accord entre Napoléon III et la reine Victoria ?).

 

III   Gestation du projet, chronologie

 

1) 19802000, l’époque des prémisses

 

A En novembre 1989, l’homme politique américain Lyndon LaRouche (né en 1922, polémiste controversé, recherchant l’investiture démocrate pour les élections présidentielles) élabore avec sa femme, Helga Zepp-LaRouche, après la chute du mur de Berlin, un programme de « Triangles productifs », qui définit, pour la coopération Est-Ouest, les grandes lignes d’un Plan Marshall en lançant des grands travaux dans l’esprit du New Deal : ouverture de couloirs de développement – dont une infrastructure unissant l’Amérique du Nord et l’Eurasie par le détroit de Béring.

B En 1995, les gouvernements russe et américain sont sur le point de signer l’accord en vue du lancement du projet de liaison entre la Russie et l’Alaska, mais, du côté russe, les changements fréquents des responsables gouvernementaux conduisent la partie américaine à se retirer. Le coût de réalisation de ce projet (tunnel ou ponts et voies d’accès) tel qu’évalué dans les années 1990, projet serait de  65 milliards de dollars .

C Les 7 et 8 mai 1996 à Pékin, Song Jian, président de la Commission d’État chinoise pour la science et la technologie organise un symposium sur le thème du« Pont terrestre eurasiatique comme le tremplin d’une nouvelle ère économique pour une nouvelle civilisation humaine ».

Helga Zepp-LaRouche y prononce un exposé sous le titre « Bâtir la nouvelle Route de la soie pour assurer la sécurité en Asie et en Europe » (quelques extraits significatifs de cet exposé figurent en annexe).

Elle est d’autant mieux écoutée que le programme qu’elle propose et la nature de son approche est à l’opposé des thèses libérales du représentant de l’Union européenne, sir Leon Brittan. Il est possible que ces idées aient influencé les nouvelles « Routes de la soie » orchestrées depuis deux ans par le président Xi Jinping.

D En septembre 2000, à Saint-Pétersbourg, les cinq grands couloirs de développement sur le continent sont définis dans le cadre d’une « Conférence eurasiatique sur les transports » :

– le couloir Nord, via le Transsibérien, de l’Europe vers la Chine, la Corée et le Japon ;

– le couloir central, de l’Europe méridionale à la Chine, via la Turquie, l’Iran et l’Asie centrale ;

– le couloir Sud, de l’Europe méridionale vers l’Iran, puis remontant vers la Chine par le Pakistan et l’Inde ;

– le couloir Traceca, d’Europe de l’Est à l’Asie centrale, par les mers Noire et Caspienne ;

– un couloir Nord-Sud combinant le rail et le transport maritime (Caspienne), de l’Europe du Nord à l’Inde.

2) 20002015, la maturation du projet

 

A Le 12 janvier 2001, un article du Moscow Times est consacré à  Viktor Nikolaevitch Razbegin, directeur du Centre gouvernemental des projets de transports régionaux. Cet ingénieur de formation, spécialiste du permafrost (français : pergélisol) et des problèmes de la toundra, a dirigé divers projets de transport dans les régions septentrionales de ce qui était l’URSS à l’époque. Les deux méga-projets sur lequel ses équipes travaillent sont :

1)     un pont de 40 km entre le Japon et la Russie via l’île de Sakhaline (20 milliards de dollars) ;

2)     la liaison entre la Russie et l’Alaska, dont l’étude  a été engagée en 1992. L’infrastructure multimodale comprendrait une ligne ferroviaire, une ligne de transport électrique et un ensemble de lignes de télécommunication, dont des fibres optiques. La première étape consisterait à poser 3 850 km de voie ferrée destinée à relier la Tchoukotka (Uelen) à la ligne existante Baïkal-Amour « Magistrale, BAM [tracé : réseau existant jusqu’à Iakoutsk – Ust-Nera – Zyryanka – Egvekinot – Uelen]. Symétriquement, 2 844 km de rails seraient à poser côté américain [tracé : Cape Prince of Wales (Alaska, USA) – Fairbanks (Alaska) – Whitehorse (Canada) – Fort Nelson (Canada), puis connexion vers Seattle par une voie existante]. Le tunnel nécessaire pour assurer la jonction aurait 103 km (à la largeur du détroit, estimée à 92 km, plusieurs km supplémentaires de tunnel seront nécessaire pour éviter, au trait de mer, un relief défavorable). Il plongerait à  80 mètres sous le plancher océanique. L’étude de faisabilité du projet reçoit l’approbation des autorités de tutelle du Centre gouvernemental des projets de transports régionaux, l’Académie des sciences, le ministère des chemins de fer et celui du commerce et du développement. La liaison serait opérationnelle 20 ans après obtention de l’accord des présidents américain et russe.

 

B En mai 2006, le projet d’un réseau mondial est proposé  par l’Américain Frank X. Didik dans une note de 6 pages intitulée Trans Global Highway. A proposal. Frank X. Didik est un designer, spécialiste de la voiture électrique.

C 17/19 novembre 2006. Lors du sommet de l’APEC à Hanoi, le président russe Vladimir Poutine évoque la perspective d’une nouvelle configuration de l’Eurasie, reposant sur « des projets conjoints à large échelle dans les transports, l’énergie et les communications ». Lors de ce sommet, il décide d’organiser le sommet de l’APEC de 2012 à Vladivostok .

Au même sommet, l’ancien président sud-coréen Kim Dae-Jung lui assure que : « les chemins de fer Transcoréen, Transsibérien, Tnansmongol, Transmanchourien et Transchinois formeront cette Route ferroviaire de la Soie, reliant l’Asie du Nord-Est à l’Europe en passant par l’Asie centrale…  faisant entrer ainsi l’Eurasie dans une ère de prospérité »

 

D Le 10 avril 2007, lors d’une réunion présidée par le président Poutine sur le développement du rail dans les deux décennies à venir, le président de la Société des chemins de fer de Russie, Vladimir Iakounine, présente le projet de construction d’une ligne de 3 850 kilomètres reliant la rive droite de la Lena au détroit de Béring. Le coût de l’ensemble du projet (voie ferrée à grande vitesse, autoroute, oléoducs et gazoducs, ainsi que des lignes électriques et des câbles de fibres optiques) est estimé, selon les experts, à 65 milliards de dollars et devrait pouvoir assurer le transport de 3 % du fret mondial.

 

E Le 18 avril 2007, à Moscou, selon une note de l’ambassade de Russie à Ottawa, les coordonnateurs duprojet (comprenant des représentants de l’administration présidentielle de Russie et le conseiller aux transports du ministère du développement économique et du commerce) annoncent, en conclusion d’une séance de briefing que les gouvernements des trois pays concernés par le tunnel (ou pont) et les quelque 6 000 km de voie ferrée (Russie, États-Unis et Canada) seraient saisis du projet en vue de la signature d’un accord intergouvernemental pour son étude détaillée et sa réalisation.

Il est précisé que « le projet de Béring » s’insérait dans le plan, plus large, des infrastructures russes (pétrole et gaz vers la Chine, gaz vers l’Europe, réseau autoroutier et « flotte » de réacteurs nucléaires).

La note de l’ambassade mentionne les récents déplacement à Ottawa des ministres russes concernés par le commerce et les transports pour évoquer les relations entre les deux pays via l’Arctique : liaison aérienne entre la Sibérie et Winnipeg et une route maritime  entre Mourmansk et Churchill (Manitoba) mise en œuvre avec les brise-glace russes. Les représentants de la Russie mettent l’accent sur le fait que les routes polaires pourraient devenir des liens importants entre les économies américaines et asiatiques, notamment chinoise et que le lien ferroviaire et énergétique par le détroit de Béring devait être considéré dans cette perspective. Selon Joseph Henri, un juriste d’Anchorage et membre de l’Interhemispheric Bering Strait Tunnel and Railroad Group, impliqué dans le projet depuis 20 ans, la voie ferrée devrait relier  Prince George, en Colombie-Britannique, aux ville chinoises.

La note annonce en outre la conférence de promotion du projet organisée la semaine suivante, le 24 avril 2007, à Moscou avec Viktor Razbegin et à laquelle plusieurs personnalités de l’Alaska devait participer, dont Joseph Henri et l’ancien gouverneur Walter Hickel. Toutefois, Kevin Falcon, ministre des transports de  Colombie-Britannique et Larry Bagnell, parlementaire du Yukon, déclinent l’invitation.

F Le 24 avril 2007, une conférence intitulée « Les mégaprojets de l’Est russe » est organisée à Moscou pour présenter les grands projets de l’État destinés à lutter contre le sous-développement et le sous-peuplement des régions de Sibérie et à renforcer « l’axe oriental » de la Russie. Cette réunion est la première d’une série consacrée aux « Mégaprojets de l’Est russe », organisée par le Conseil pour l’étude des forces productrices, CEFP (ou SOPS, selon son sigle russe), de l’Académie russe des Sciences, en coopération avec le ministère du Développement économique et du Commerce, le ministère du Transport, la Société des chemins de fer de Russie et des gouvernements régionaux de Sibérie et de l’Extrême-Orient russe. La conférence est présidée par l’ancien gouverneur de l’Alaska, Walter Hickel, ancien gouverneur de l’Alaska à deux reprises (1966-1968 et 1990-1994), ex-Secrétaire à l’Intérieur des États-Unis et ardent supporter du projet depuis les années 1960, fondateur et  Secrétaire général du Northern Forum, une association de 30 régions septentrionales (Walter Hickel est mort le 7 mai 2010 à 90 ans).NB. À moins que deux conférences similaires se soient tenues à un mois d’intervalle, un nombre équivalent de sources situent cette conférence en avril ou en mai 2007 ; seule associée à une date précise, c’est la conférence d’avril qui a été retenue ici, mais sans certitude absolue.

Les autorités russes prévoient d’investir 350 milliards d’euros d’ici à 2030 pour moderniser leurs infrastructures ferroviaires. Une grande quantité du matériel roulant va être renouvelé, et 6 000 km de voies nouvelles vont être bâtis avant 2015, dont des lignes à grande vitesse. Et pour l’horizon 2030, ce sont 15 800 kilomètres de voies qui vont être construit, dont 3 850 km pour rejoindre le détroit de Béring et une liaison entre l’île de Sakhaline et le continent. La modernisation du Transsibérien est également un objectif majeur afin de mettre Pékin à 7 jours de l’Europe occidentale, contre 18 actuellement.

La « Liaison de transport transcontinentale entre l’Eurasie et l’Amérique traversant le détroit de Béring », inscrite dans le vaste chantier baptisé « TKM-World Link » (ТрансКонтинентальная магистраль, Transcontinental Railway) ou ICL-World Link (Intercontinental Link). Viktor N. Razbeguine, vice-président du Conseil d’études des forces productrices russes (CEFP) en charge du dossier en a présenté les grands traits* : la construction, dans le prolongement de l’Amour–Iakoutsk Magistrale (elle-même reliée au Transsibérien), d’une artère reliant Iakoutsk en Sibérie orientale (plus exactement Pravaya Lena, au sud de Iakoutsk sur la rive droite de la Lena, le franchissement de ce fleuve, d’une largeur de 2 km et dont le lit majeur s’étend sur 20 km lors de la fonte des neiges, reste problématique pour l’instant – pont ou tunnel ?) à Fort Nelson au Canada (6 700 km de voies nouvelles au total), le tout via un tunnel long de 102 ou 105 kilomètres, construit en trois sections, entre Uelen, sur le littoral de la péninsule tchouktche à l’extrémité russe du détroit de Béring,  et Wales (Alaska, États-Unis), en passant sur – ou sous – deux îles située approximativement au milieu du Détroit de Béring, les grande Diomède (dans le ressort de la Tchoukotka russe, à 45 km du continent eurasiatique) et Petite Diomède (Alaska, à 40 km du continent américain), distantes de 3 km. NB. C’est entre ces deux Diomède que passe la ligne de changement de jour. La construction de l’ensemble devrait prendre de quinze à vingt ans. Cette infrastructure transformera entièrement le système de transport de marchandises et d’énergie entre l’Amérique et l’Europe.

Entre 15 et 20 ans seront nécessaires à la construction du tunnel seul. Des entreprises japonaises se sont déjà portées candidates pour les travaux de son creusement, offrant des prix particulièrement compétitifs (60 millions de dollars/km, soit la moitié du prix prévu dans les premières esquisses financières du projet). Aux deux extrémités, il est envisagé à terme de développer des lignes ferroviaires directes avec Londres et New York. L’objectif est de renforcer par une infrastructure multimodale (voie ferrée, peut-être les futures lignes à très haute vitesse – magnétique type Maglev ? ce qui résoudrait le problème de l’écartement des voies –, Internet par fibre optique, autoroute, lignes HT, reliant les systèmes énergétiques des deux pays) les liens commerciaux entre les deux continents, qui assurerait notamment l’accès des États-Unis aux ressources en pétrole, gaz et électricité de l’Extrême-Orient russe. L’énergie électrique proviendra de barrages hydroélectriques et des deux installations marémotrices, Tugurskaya et Pendzhinskaya, chacune d’une puissance de 10 gigawatts, dont l’installation est prévue par Hydro OGK en 2020 en mer d’Okhotsk près de l’île de Sakhaline.

*voir la vidéo :

Presentation (PDF) of Eurasia – North America Rail Link and Bering Strait Tunnel Project on the Conference by Viktor Nikolaevich RAZBEGIN, Deputy Head of Deputy Chairman of the Council for the Study of Productive Forces.

Les perspectives sont aussi grandes que les contraintes que ce projets va devoir surmonter.

1) Elles sont économiques

Bien que les régions traversées, pour l’instant désertes ne justifient pas un tel investissement, le CEFP, initiateur du projet, estime que le retour sur investissement serait de 30 ans avec un fret comparable, à terme, à ceux des  canaux de Panama ou de Suez en 2006 (environ 70 millions de tonnes soit 3% du trafic mondial). La ligne sera d’abord uniquement utilisé pour le transport de marchandises.

Le chiffre d’affaires des échanges commerciaux générés par ce projet pourrait atteindre 300 à 350 milliards de dollars sur 30 ans. Le retour sur investissement est attendu sur trente ans après l’accession du chemin de fer à sa capacité projetée de 70 à 100 millions de tonnes par an de marchandises, pétrole et gaz.

Le coût est estimé à quelque 65 milliards de dollars sur quinze à vingt ans – dont entre 10 et 12 milliards pour le tunnel. L’élaboration du cahier des charges coûterait à elle seule entre 3 et 4% du montant de l’investissement. Si rien n’est encore entériné (notamment le financement, devant provenir des collectivités publiques et des compagnies privées, n’est pas encore arrêté), les plus optimistes envisagent néanmoins le lancement du programme public d’étude dès 2008.

Avertissement : la cohérence de ces différents chiffres, recueillis de diverses sources, reste à vérifier.

2) Les perspectives sont économiques, certes, mais pas seulement. Le principal atout de cette liaison ferroviaire transcontinentale n’est en effet pas uniquement de transporter des marchandises plus rapidement. Rendant possible des branches susceptibles de devenir autant de corridors de développement, elle participera à l’innervation et au désenclavement de régions dépourvues d’accès maritime. Les perspectives concernant l’emploi sont considérables : avec la création de nouvelles villes et des zones agro-industrielles, plusieurs centaines de millier emplois sont escomptés, dont entre 100 000 et 120 000 emplois affectés à la seule construction de la voie ferrée vers l’Alaska.

Cette conférence a suscité plusieurs commentaires :

Vladimir Brejnev, ex-ministre sous M. Gorbatchev, président du conglomérat russe de construction Transtroï : déclare que « nous avons l’expertise » ;

George Koumal, le président de l’IBSTRG (Interhemispheric Bering Strait Tunnel and Railroad Group), un lobby tripartite Russie-Canada-États-Unis qui milite de son côté pour le projet depuis 1992, affirme que le  sous-sol de la Sibérie extrême-orientale, resté largement inexploité, étant riche d’hydrocarbures et de minerais de métaux rares et que la vente ou la concession des terrains le long de la voie ferrée devant générer d’importants revenus, la question de la rentabilité du projet ne se pose pas ;

Artur Alexeyev, vice-président de la république autonome de Sakha (Iakoutie), va dans le même sens : la Sibérie orientale et la Iakoutie sont les deux provinces les plus riches en réserves de minerais, dont seulement 1,5 %, évalue-t-il sont exploitées aujourd’hui, pour des raisons qui tiennent à la fois aux conditions climatiques difficiles et au manque d’infrastructures. Il estime que la perspective de ces ressources devraient stimuler l’investissement privé nécessaire au lancement de la voie ferrée de Iakoutsk ainsi que le début des travaux sous le détroit ;

Maxime Bistrov, directeur adjoint de l’Agence des zones économiques spéciales, représentant le ministère russe de l’économie, a en effet rappelé que le Fonds fédéral d’investissement ne finance des projets que s’ils ont déjà obtenu le soutien d’entreprises privées ou de financements régionaux… Parmi les investisseurs publics qui se sont déjà déclarés intéressés : OAO Russian Railways, OAO Unified Energy System et l’opérateur du réseau russe des oléoducs OAO Transneft [le sigle ОАО est la transposition en caractères latins de celui, Оао, qui en cyrillique provient de : Открытое акционерное общество soit, en anglais : Open joint-stock company, OJSC, ou société par actions de type ouvert].

Viktor N. Razbegin estime que les États russe et  américain pourraient finalement entrer dans le capital avec 25 % des parts chacun et, en outre garantir l’investissement privé ; les agences de financement international devraient également participer. Quoi qu’il en soit, les différents promoteurs du tunnel fondent l’espoir que les pays du G8 soutiendront le projet, une demande leur a été adressée pour le financement des 128 millions de dollars de l’étude préalable.

Vladimir Iakounine, président des Chemins de fer russes, a affirmé que ce développement nouveau du rail allait profiter en majeure partie à l’Orient russe : « nous accomplirons un développement accéléré de l’est de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe, dont la population pourrait atteindre 18 millions de personnes ; nous créerons les conditions nécessaires à l’exploitation des gisements de charbon à hauteur de 65 millions de tonnes et à la production de 10 millions de tonnes de minerai en 2030 ; enfin, nous donnerons l’élan voulu pour développer les champs pétrolifères et gaziers encore inexploités ».

Les participants ont signé un message aux gouvernements de la Russie, des États-Unis, du Canada, du Japon , de la Chine et de l’Union Européenne, les invitant à soutenir la construction d’un tunnel sous le détroit de Béring.

Le Conseil russe pour l’étude des forces productives a produit une vidéo Amérique par le Tunnel du détroit de Béring (8 minutes, Grand prix pour l’innovation à l’Exposition universelle de Shanghai de 2010  – ici disponible ).

 

G En octobre 2007, lors de la conférence de l’Arctique sur l’énergie (AES) , l’IBSTRG indique que le projet reposerait sur l’utilisation de mini-réacteurs nucléaires mobiles, transportées par rail, route ou navire, ainsi que par l’énergie hydroélectrique pour l’extension du réseau ferroviaire.

 

H Le 9 janvier 2008, le premier train « eurasiatique » de marchandise reliait Pékin à Hambourg (10 000 km, une quinzaine de jours) après avoir traversé la Chine, la Mongolie, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne (soit plus de 10 000 km, 2008) en quinze jours seulement.

Depuis, des « expéditions » similaires ont eu également lieu 1) entre Chongqing et Duisbourg en Allemagne (11 179 km, une quinzaine de jours contre 36 par porte-conteneur, 2011) ; 2) entre Yiwu (300 km au sud de Shanghai), le plus grand marché de gros dans le monde, et Madrid (13000 km,  3 changements d’écartement, 21 jours, janvier 2015).

Ces nouvelles routes de marchandises sont  gérées par Trans Eurasia Logistics, une joint-venture entre les opérateurs ferroviaires publics, par exemple, pour la liaison Chongqing-Duisbourg : Deutsche Bahn, la Kazakhstan Temir Zholy, la China Railway Corporation et la Compagnie des chemins de fer russes.

I Le 20 décembre 2009, le projet d’un chemin de fer sous le détroit de Béring est programmé en Russie. Le président de Chemins de fer russes, Vladimir Iakounine, déclare au Sunday Express de Londres qu’il serait possible, au cours de la prochaine décennie, de relier la Russie à l’Amérique via le détroit de Béring. La revue des documents officiels et de la presse régionale de l’Extrême-Orient russe de la fin 2009 confirme que les représentants officiels de ces régions sont bel et bien en train de travailler à la réalisation de ce projet.

Par exemple, le « Plan pour l’aménagement du territoire de la région de Magadan », au nord du territoire de Khabarovsk et au sud de la Tchoukotka, province voisine du détroit de Béring, intègre ce projet, selon un article  de l’agence Advis.ru du 9 septembre 2009 : « Le plan d’aménagement du territoire de la région Magadan inclus la stratégie pour le développement de l’Extrême-Orient et de la Russie dans son ensemble. Il inclut, par exemple, un « méga-projet » tel que celui du Chemin de fer transcontinental BAM-Iakoutsk – Uelen avec une ligne traversant la région de Magadan et un tunnel sous le détroit de Béring vers l’Alaska – projet qui a été inclus dans la stratégie de transport de la Fédération russe pour la période allant à 2030, un projet qui est vu par les gouvernements russe et américain comme le plus grand projet d’infrastructures du XXIe siècle. A long terme, l’achèvement de ce chemin de fer vers l’Alaska pourrait permettre à l’économie de la région de Magadan, dépendante des exportations de matières premières, de se diversifier grâce à la création, dans la ville de Magadan d’un nœud multimodal de transport nouveau par lequel passerait le fret, reliant le Canada et les États-Unis aux pays du Pacifique. Ceci implique d’abord et en premier lieu, les chemins de fer, mais aussi un rôle pour la région de Magadan dans le corridor aérien reliant l’Amérique, l’Asie du sud-est et l’Australie par les routes les plus courtes. Ceci veut dire aussi le développement et la renaissance du port de Magadan dans la Mer d’Okhotsk. »

L’ensemble Tynda-Iakoutsk-Uelen (4 000 km) sera achevé en 2030, puis le tunnel sous le détroit de Béring pourrait l’être entre 2045 et 2050 (Tynda est le nœud ferroviaire avec le BAM, la branche nord du  Transsibérien).

J Le 2 septembre 2010 avait lieu une session de l’Assemblée des cheminots russes. Vladimir Iakounine, et Victor Ivanovich Ishayev ont présenté le plan de modernisation et l’extension du Baïkal-Amour Magistrale, BAM.

Victor I. Ishayev était à l’époque, depuis mai 2009, l’envoyé présidentiel plénipotentiaire dans le district fédéral de l’Extrême-Orient russe ; précédemment gouverneur du kraï de Khabarovsk. Il est, aujourd’hui, ministre pour la Russie d’Extrême-Orient.

K Du 7 au 10 septembre 2010 s’est tenu le 6e Forum économique international du lac Baïkal(Baikal International Economic Forum, BIEF) à Irkoutsk (1500 personnes, 17 pays, dont Chine, Russie, Japon et Corée du Sud). Au regard du défi que constitue le développement rapide des voies ferrées en Chine et notamment vers l’Asie centrale et l’Europe, la Russie fait un effort considérable pour améliorer la desserte de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe ainsi que l’accès au port de Vladivostok. Serguei Mironov, président de l’Assemblée fédérale du Conseil de la fédération de Russie explique que « la Russie a besoin de construire une Route de la soie du XXIe siècle » avec un axe eurasiatique majeur (rail, route, énergie, voies aériennes et maritimes). Il ne s’agit pas de laisser le monopole des Routes de la soie à la Chine. Non seulement Moscou peut revendiquer une part « des Routes » de la soie, mais se prépare à y ajouter celle de la circumnavigation polaire (« l’Ultima Thulé » ou la « route du soleil de minuit »).

L Les 17 et 19 août 2011, une conférence internationale « Intercontinental Magistral Eurasia – America » se tient à Iakoutsk en Sibérie, organisé par le Conseil d’études des forces productrices russes (CEFP-SOPS)  sous le patronage du  Conseil Fédéral de la Fédération de Russie, la Chambre de commerce et d’industrie, le ministère des transports, le ministère du développement économique et le ministère de l’énergie. Le but de la conférence est d’établir une plateforme d’information et d’échange entre les autorités russes, de niveau fédéral et régional, et les investisseurs, russes ou étrangers, à propos des perspectives de développement en Extrême-Orient russe. Elle est consacrée au développement infrastructurel global dans le nord-est russe. Ce projet transcontinental eurasien et transaméricain représente une chance immense pour la Russie de revitaliser son extrême orient et de participer avec l’Europe – via l’union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan  –, à la formation d’une zone économique majeure, reliée à deux autres pôles de l’économie mondiale que sont l’Amérique et la Chine.

Il est annoncé qu’en 2013, la voie ferrée raccordera quasiment la ville de Iakoutsk au Transsibérien (800 km) et que vers 2030,  moyennant son prolongement par une ligne longue de 4 000 km, elle atteindrait Uelen sur la rive russe du détroit de  Béring. De leur côté, les Américains devront construire 4 830 km de voies. Le premier des deux pays, Russie et États-Unis qui atteindra le détroit pourra construire l’intégralité du tunnel. Sur le plan technique, les Russes ont l’expérience de la construction de tels équipement malgré les 10 mois où la température descend en dessous de 50 degrés Celsius et savent maîtriser l’instabilité due au permafrost. Sur le plan sismique, le détroit de Béring repose sur la vaste plaque nord-américaine qui englobe largement la Russie septentrionale, l’Extrême-Orient russe ainsi que l’Alaska ; elle s’étend très au sud, jusqu’à « l’arc de feu » des Aléoutiennes, situées, elles, à la jonction avec la plaque pacifique. Ce qui ne signifie pas que la sismicité ou la dérive des plaques sont des facteurs négligeables, mais ils rentrent dans des cas de figure connus et maîtrisés, comme l’est, au Japon, le tunnel ferroviaire sous-marin du Seikan entre les îles de Honshu et de Hokkaido (long de 53,85 km, en terrain volcanique).

Sur le plan économique, le CEFP-SOPS affirme que le coût de transport par rail est inférieur à celui pratiqué par les transporteurs maritimes (ce point mériterait d’être éclairci). Le chiffre de 3 % du fret mondial passerait par la ligne projetée, ce qui laisserait prévoir un bénéfice annuel de 11,5 milliards de dollars. Le retour sur investissement du tunnel serait de 15 ans après son entrée en service. La durée de transport par la ligne Eurasie-Alaskaserait réduite de 10 à 14 jours, selon la destination, par rapport au transport maritime. La capacité de cette ligne est de 30 à 40 milliards de tonnes par an. En outre, une ligne électrique entre les deux continents permettrait d’épargner 15 milliards de dollars par an (absence d’explication). Selon Serguei Grishin, vice-ministre des chemins de fer, le transport de matériaux et produits exportés par la Russie pourrait rapporter environ 20 milliards de dollars par an.

La crise financière de 2007 avait déjà mis le plan des chemins de fers russes et le « Programme pour le développement économique et social de l’Extrême-Orient et le Trans-Baïkal de l’année 2013 » sous la pression des coupes budgétaires. Pour les préserver, Iakounine a fait valoir que, faute de repeupler et développer ses régions orientales, la Russie ne pourrait pas préserver son intégrité. De même, Victor Ishayev, l’envoyé présidentiel auprès du District fédéral extrême-oriental a demandé proposé à Poutine, alors Premier ministre, de peser de tout son poids en faveur des deux projets qui concernent l’Extrême-Orient russe :

1) le pont devant relier l’île de Sakhaline au continent, ouvrant simultanément la perspective d’une liaison ferroviaire avec le Japon ;

2)  la construction de la seconde branche du BAM pour faire face au quadruplement (voire sextuplement) d’ici à 2020 du fret né de l’exploitation des matières premières sibériennes (le Transsibérien historique étant saturé).

La voie desservant Iakoutsk serait achevée en 2012-2013. Les premiers 266 kms (45 ponts) du tronçon de 800 km reliant Berkakit sur le BAM à Iakoutsk ont été achevés il y a deux ans. Problème : la traversée de la Léna près d’Iakoutsk : pont ou tunnel ? Cependant, la poursuite du tracé vers le Détroit de Béring n’en dépend pas, car il devrait rester sur la rive droite.

Deux questions majeures ont été soulevées, l’une, de fond, concerne les contraintes socio-économiques du développement du Nord et de l’Extrême-Orient russes, l’autre plus contingente, mais capitale pour le projet, est celle du financement.

1) Raison et moteur du développement, la question principale est d’ordre démographique : il est impératif de préserver la population existante et d’attirer de nouveaux flux. La « Nouvelle stratégie pour les régions de l’Extrême-Orient et du Trans-Baïkal en 2025 » a été établie pour y répondre. Elle a pour objectif d’intégrer la densification des réseaux de transport et des projets nouveaux (notamment, la création du corridor de céréales de l’Extrême-Orient, un système électrique puissant, le cosmodrome Vostochny destiné à prendre la relève de Baïkonour– nouveau centre de lancement spatial et ville scientifique, sites de production pour les activités spatiales dans la région de l’Amour).

2)La principale contrainte est financière. Les ressources publiques étant en difficulté, le recours au secteur privé est inévitable. Gennady Alexeyev, premier vice-Président de la  république de Sakha (Iakoutie), déclare que la région, riche en diamants, est prête à co-financer le projet, notamment si le budget fédéral  se trouvait insuffisant. Alexeï Struchkov, ministre du développement économique de cette même république (aujourd’hui premier vice-Président de la  république de Sakha (Iakoutie) et Représentant permanent de cette  république auprès du président Poutine) annonce que des partenariats publics privés seraient en train de se former pour financer les infrastructures dans l’Extrême-Orient (noter que la république de Sakha (Iakoutie) est en relation depuis juin 2014 avec l’Investment Promotion Agency de Dubaï). Des textes destinés à favoriser l’investissement privé en Sakha (Iakoutie) ont été soumis au niveau fédéral, tandis que, de son côté, la société des chemins de fer russes a soumis au gouvernement un projet pour l’émission d’obligations d’État pour les infrastructures à hauteur de 400 milliards de roubles (cette demande pose un problème au ministère des Finances, car les obligations d’État sont émises seulement pour couvrir le déficit). En tout état de cause et compte tenu de la mauvaise situation financière de la Russie d’aujourd’hui, une politique encadrant la mixité des sources de crédit, public et privé s’impose. Des financements publics venant de Russie, des États-Unis, du Canada et, peut-être, de la Chine et du Japon doivent être envisagés, au moins durant au début de la période de fonctionnement.

Sans en surestimer les aspects géopolitiques et commerciaux, ce rail intercontinental consolidera l’intégrité du territoire fédéral et enclenchera le développement de toute l’infrastructure nécessaire à l’Extrême-Orient et à la Sibérie.

Pour la Sakha (Iakoutie), le gain économique est loin d’être négligeable : le chemin de fer a déjà contribué à réduire par un facteur de 7 ou 8 le coût de livraison d’une tonne de fret.

Le problème principal est politique : aboutir à un accord entre les pays participants (Russie, États-Unis, Canada, pays d’Asie orientale) sera long et  difficile.

Cf https://www.asie21.com/asie/index.php/russie/741-investissements-asiatiques-en-extreme-orient-russe-remi-perelman-asie21-fevrier-2014

 

Disponibles sur Internet ; deux documents produits pour la conférence :

Aspects of Railroad Technology As Related To A Railroad From Asia To North America Via A Tunnel Under The Bering Strait. By Louis Cerny, International Railroad Consultant. As delivered at the August 17-19, 2011 Conference in Yakutsk, Russia.

Un document rédigé à la suite de la conférence

North Eurasian Infrastructure And the Bering Strait Crossing. By Rachel Douglas.September 2, 2011, EIR Economics. NB. EIR Economics est une dépendance de Solidarité et Progrès de Lyndon LaRouche.

 

M – Le 23 août 2011, le Kremlin a donné son feu vert au projet de tunnel sous le détroit de Béring annonce le Daily Mail (Kremlin paves way for East to West rail link after ‘approving’ £60bn Bering Strait tunnel).   

 

N En novembre 2011, la Douma vote une loi qui organise le transit de la route (arctique) du Nord-Est considérée comme une future voie commerciale majeure. Alors que cette voie était jusque-là majoritairement empruntée par des navires russes, la nouvelle loi en garantit l’accès à l’ensemble des compagnies maritimes le souhaitant. En revanche, la Russie prévoit de garder le monopole sur la sécurisation de la route, notamment assurée par la flotte de brise-glace nucléaires, et peut-être même d’imposer une taxe à l’entrée.

 

O Le 7 avril 2012, Vladimir Iakounine président de la société des chemins de fer russes (RZD) précise que la décision de construire un tunnel sous le détroit de Béring, qui va relier l’infrastructure ferroviaire en Russie et en Amérique du Nord, doit être prise avant 2017. Sur la question de savoir si ce projet est une vision futuriste, Iakounine a déclaré: « Ce n’est pas un rêve et ce, parce que je ne suis pas l’auteur du concept ». Cinq ans après son entrée en fonction, il prend à témoin les hommes d’affaires américains, rencontrés au cours de ses voyages, qui ont lui proposé d’examiner la création d’un tel tunnel. « Ce projet est au stade du développement » Selon lui, avec la coopération internationale, le tunnel pourrait être construit d’ici à 10-15 ans.

P Le 15 août 2013, la compagnie russe de construction Transstroï annonce pour fin septembre l’achèvement des travaux de la ligne de chemin de fer reliant quasiment la ville de Iakoutsk à la Magistrale Baïkal-Amour (la BAM), « l’autre Transsibérien » qui contourne le lac Baïkal par le Nord et dessert l’Extrême-Orient russe. Longue de plus de 800 kilomètres, financée par le gouvernement russe et la République autonome de Sakha (Iakoutie) dont Iakoutsk est la capitale. Cette ligne a été construite à un rythme phénoménal compte tenu des conditions climatiques et géologiques extrêmes de la région, où la température moyenne ne dépasse pas -10°C. Elle permettra d’assurer un lien terrestre permanent entre cette région riche en matières premières et le reste de la Russie.

Q Selon The Siberian Times du 23 mars 2015 (relevé par le média canadien CBC News du 25 mars), lors d’une séance de l’Académie russe des sciences, Vladimir Iakounine, le président des chemins de fer russes, a présenté l’idée – mais sans détail spécifique – d’un Trans-Eurasian belt Development (TEPR) reliant l’Atlantique au Pacifique à travers la Sibérie et l’Extrême-Orient russe. Ce qui confirme à nouveau l’enrichissement du projet, ajoutant l’ambition du développement à la raison du transport. Certes, ce méga-corridor multimodal (rail, autoroute, oléo- et gazoducs, énergie électrique, fibre optique et eau) desservira la Tchoukotka et le détroit de Béring et, au delà, le continent américain. Il devrait susciter la création de 10 à 15 centres industriels et autant de villes, participant au développement et l’isolement de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe.

La Russie un nouveau centre de création

Mais il ne s’agit pas seulement de doubler le Transsibérien, ni même de créer un couloir de développement banal. L’ambition, rien de moins, est de faire de la Russie un nouveau centre de création et de développement pour l’industrie hightech. V. Iakounine va plus loin dans l’explicitation du concept, esquissant un véritable manifeste : la « mondialisation à l’occidentale » n’est plus un facteur d’incitation mais il est devenu un obstacle au développement économique, scientifique, moral et spirituel development de la société. Un projet, à l’échelle interétatique et inter-civilisationnelle, alternatif au modèle néo-libéral à l’origine d’une crise systémique, est nécessaire. Ce projet doit être tourné vers les « zones du futur ». Il est fondé sur un tronc majeur de transport mettant en rapport les réseaux existants, tant en Europe qu’en Asie.

R Le 8 mai 2014, selon le Beijing Times, rapporté par le Guardian (ainsi que par l’International Business Times du 9 mai), la Chine envisage de construire une ligne à grande vitesse vers les États-Unis. Le Beijing Times rapporte les propos de Wang Mengshu, un expert ferroviaire de l’Académie chinoise d’ingénierie. Celui-ci évoque des discussions en cours, probablement avec des Russes (mais il ne le précise pas), notant seulement que cette idée est loin d’être nouvelle en Russie. Bien que le Beijing Times soit une organe de presse soumis comme ses semblables au contrôle des autorités, le journaliste du Guardian, en poste à Pékin, fait remarquer que l’annonce soulève des questions : le projet n’a fait l’objet d’aucun commentaire d’autres experts et la consultation des gouvernements russe, canadien et américain n’est pas évoquée. Par ailleurs, Wang Mengshu estime la longueur du tunnel sous le détroit de Béring à 200 km, soit le double environ de ce qui est dit ailleurs. Ce même 8 mai, le China Daily, reprenant les informations fournies par Wang Mengshu, ajoutait que la technologie nécessaire pour la construction du tunnel existait et serait mise en œuvre pour le tunnel envisagé entre la Chine (Fujian) et l’île de Taiwan, mais que « les détails restaient à finaliser ». Le Guardian précise que l’expert restait injoignable pour des demandes d’interview.

Le Beijing Times a indiqué que la ligne Chine-États-Unis était l’un des quatre grands projets ferroviaires en chantier, à divers stades de mise en œuvre avec :

1) La ligne Londres-Paris-Berlin-Varsovie-Kiev-Moscou prolongée selon deux tracés : l’un vers la Chine via le Kazakhstan, l’autre vers la Sibérie orientale ;

2) La ligne Urumqi-Allemagne via le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkmenistan, l’Iran et la Turquie ;

3) La ligne Kunming-Singapour.

Pour plus détails : http://interbering.com/Russian-North-East-Development.html

 

IV Autres informations récentes relatives aux infrastructures en Asie orientale

Le 4 mars 2015, The Siberian Times fournit des détails sur la ligne à grande vitesse MoscouPékin (7 000 km de voies nouvelles, 400 km/h) : le projet, après avoir fait l’objet d’un memorandum of understanding entre la Russie et la Chine en octobre 2014, a été approuvé le 22 janvier 2015. Les constructeurs allemands de voiture (Volkswagen, Mercedes et BMW) se félicitent de ce projet qui leur permettra de livrer plus rapidement les véhicules à leurs clients chinois. Son coût s’élève à 242 milliards de dollars, le financement reposant principalement sur la Chine. La construction devrait prendre entre 8 et 10 ans. Moscou sera alors à 30 heures de Pékin, au lieu de 5 jours. L’entreprise retenue est China Railway High-speed (CRH), une filiale de la société publique China Railway (le tronçon Moscou-Kazan devait être initialement attribué à Alstom, décision annulée à la suite du report de livraison, en novembre 2014, des BPC Mistral à la Russie). Le tracé n’est pas encore arrêté, deux options étant en lice : soit par le Kazakhstan (passage par la capitale Astana), soit par l’Altaï via Barnaul et Novosibirsk. La différence est de 290 km. Une 3e option : la route eurasienne par la Mongolie, avec un arrêt à Krasnoyarsk.

En février 2015, les autorités de la ville de Pékin ont exprimé leur intérêt pour la construction d’une ligne reliant Hunchun à Vladivostok (la ville chinoise de Hunchun est située à la frontière de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord), en vue de réduire à une heure de train à 250 km/h la durée du voyage, aujourd’hui de 5 heures par la route. Hunchun est une ville industrielle de 250 000 h., en plein développement, dotée d’une Border Economic Cooperation Zone depuis 1992 : conserveries de poisson, électronique, bio-pharmacie et textile.

V Du côté nordaméricain

 

A Le 7 mai 2006, une conférence de trois jours s’est ouverte à Washington D.C sous le titre suivant : « World Russian Forum 2006 – Russia-USA: Towards Economic, Political and Military Alliance », en vue de construire des relations entre les deux pays. Les débats ont été largelments consacrés au thème « Economic Development in the Frontiers of Russia and USA: Promoting Co-Prosperity in Alaska and Eastern Siberia through the Bering Strait Crossing » comportant un exposé relatif  à The Bering Strait Peace King Bridge/Tunnel Project. Le projet américano-canadien L’Alaska Canada Rail Link Project* y a été présenté  comme essentiel pour la viabilité de l’initiative de tunne/pont dans le détroit de Béring.

* voir ci-après.

 

B En mars 2007, la première phase de l’étude de faisabilité de « L’Alaska Canada Rail Link Project », commencée en octobre 2005,  était remise à ses commanditaires, le gouvernement du Yukon (Canada) et l’État américain de l’Alaska. L’étude concerne en outre la province canadienne de Colombie-Britannique. Son objectif est de définir les meilleures voies de transport (rail-mer ; transport de vrac vers l’Asie, conteneurs venant d’Asie) entre l’Amérique du nord et l’Asie orientale pour permettre le développement et l’acheminement des abondantes ressources du sous-sol (charbon, minerai de fer) de la première pour mieux répondre aux besoins de la seconde, en pleine croissance. Le projet vise également, par un North Pacific Rim Trade Corridor, l’amélioration du désenclavement terrestre, via le Canada, de l’Alaska à l’égard du reste des États-Unis.

La seconde phase a été remise le 31 décembre 2013. Menée par le département d’ingénierie et des mines de l’Université d’Alaska Fairbanks, elle avait pour but de vérifier et d’affiner les outils de prévision de fret. Les données relatives notamment aux ressources exploitables dans les trois territoires concernés et susceptibles de justifier le transport destiné à en desservir les lieux les plus éloignés du littoral ont été estimées. Les potentialités concernent non seulement les richesses minières ou en hydrocarbures (pétrole et gaz), mais également forestières, agricoles et touristiques. L’étude note que le projet peut déclencher le projet de ligne ferroviaire vers le Brooks Range Copper Belt et Nome. À l’extrémité occidentale de l’Alaska, Nome est précisément le point d’accès du tunnel projeté sous le détroit de Béring.

 

C – Le 8 septembre 2012, le Département d’État américain publie une note relative à la coopération dans la région du détroit de Béring. Elle fait état d’une déclaration commune des deux responsbles des Affaires étrangères américain, Hillary Clinton, et russe, Serguei Lavrov. Tous deux réaffirment l’intérêt de longue date que leurs pays respectifs portent au patrimoine naturel et culturel de l’Alaska et de la Tchoukotka et de la nécessité de protéger les populations indigènes qui y résident.

D Le 1er octobre 2013, InterBering, LLC (Limited Liability Company), est enregistrée à Juneau, capitale de l’État de l’Alaska. Cette société à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Anchorage, est créée par Fyodor Soloview en vue de contribuer à l’investissement nécessaire à la réalisation du tunnel de Béring. C’est apparemment, le seul organisme américain constitué pour engager le dialogue avec les tenants russes du projet.

Son argumentaire : le tunnel et son extension vers l’ouest, assurant la continuité avec la Russie, devrait constituer un important facteur  de développement pour l’Alaska, tant sur le plan de l’exploitation des ressources minérales que du tourisme. Le contact de F. Soloview est Viktor Alferov, directeuradjoint de la politique technique  des Russian Railways.

E Pour sa part, CBC News a consulté plusieurs universitaires (à Toronto et en Californie) sur la faisabilité du projet.

Seva Gunitsky (sciences politiques, Toronto) doute que le projet dépasse le stade du discours et remarque les propos de Iakounine manquent de précision – notamment en ce qui concerne le financement et le franchissement du détroit de Béring. Il observe également que la nécessaire coopération russo-américaine reste problématique. Il doute enfin de l’intérêt économique du projet.

Jan Nederveen Pieterse (global studies, Californie) note que si le projet est susceptible de stimuler des développements locaux, la demande est inexistante pour ce genre d’infrastructure de transport, qui restera plus coûteux que le transport maritime

En revanche, Sergei Plekhanov (sciences politiques, York University de Toronto), rappelle l’incrédulité qui a accompagné, à l’époque, l’annonce de la construction du Transsibérien. Il pense que l’idée d’un tel projet ressurgit aujourd’hui parce qu’il sera générateur d’une poussée économique exceptionnelle en Russie, en Alaska et au Canada et que les questions relatives au coût et au mode de financement finiront bien par se préciser. La Russie et les États-Unis feront cause commune, car il est de l’intérêt commun de développer leurs régions septentrionales.

 

VI Objections et quelques réponses

 

Les objections opposées au projet de ligne Eurasie-Alaska sont nombreuses et récurrentes. Même si des réponses partielles ont été apportées, nombre de question soulevées conduiront les concepteurs du projet à approfondir certains de ses aspects afin de gagner la conviction des cercles politiques et financiers.

„    Le fiasco financier est assuré, car même avec l’aide de la Chine, le projet ne peut être rentable, car le coût du transport terrestre est supérieur au transit maritime via la Pacifique ;

„    La ligne Eurasie-Alaska ne dessert que deux région parmi les plus désertes et inhospitalières du globe et, de surcroît, fort éloignées et économiquement sous-développées ;

„    L’engagement du gouvernement russe ne semble pas clair, sans doute parce qu’il est contraint aujourd’hui à la rigueur financière ;

„    L’efficacité des grands projets est remise en question par une croissance limitée (la croissance du PIB a été de 0,6% en 2014, contre 1,3% en 2013, selon des statistiques officielles publiées le 30/01/2015) ;

„    Les grands travaux donnent lieu à une grande corruption (Cf. les JO d’hiver à Sotchi) ;

„    Ces grands projets d’Etat sont l’arbre qui cache la forêt d’une économie en manque avant tout de PME et d’investissements privés » disent les uns, à quoi d’autres répondent  « Sans de tels projets, la Russie ne pourra pas survivre », Vladivostok est le modèle à suivre. L’Etat y a lancé de grands chantiers. Du coup, tout l’Extrême-Orient russe est en plein essor » ;

„    Financement,  avis aux investisseurs : on ne peut pas faire confiance à l’État russe, les porteurs d’emprunts russes ont en mémoire l’affaire des obligations russes du siècle dernier ; la Russie est classée 151e sur 208 en termes de responsabilité, de qualité des organismes de règlementation, de respect du droit. La qualité de la gouvernance d’entreprise et de la protection des intérêts minoritaires laisse à désirer.

Contrepoint

L’histoire fournit trois exemples de projets comparables au projet de tunnel sous le détroit de Béring : Suez, Panama, le tunnel sous la Manche. Ils fonctionnent tous les trois aujourd’hui à la satisfaction de tous.

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