Pourquoi il ne faut pas sous-estimer les armes nucléaires chinoises

LETTRE DES ARMÉES. La Chine, qui montre ses muscles à Taïwan et en mer de Chine méridionale, modernise ses armes nucléaires. Jusqu’où, et dans quel but ?

Sous-marin de type 094 de l'armee chinoise, en avril 2019.
Sous-marin de type 094 de l’armée chinoise, en avril 2019.  © MARK SCHIEFELBEIN / POOL / AFP

Par Jean Guisnel. Publié le 06/07/2021 LE POINT

Pourquoi il ne faut pas sous-estimer les armes nucléaires chinoises

La posture des armées chinoises est souvent citée parmi les motifs d’inquiétude pour les prochaines années. Son aviation se modernise avec l’entrée en service de nouveaux appareils de combat et de transport. Le tonnage de sa marine croît tous les quatre ans d’un volume égal à celui de la flotte de combat française. Ces deux armées sont choyées financièrement par le régime, mais de fortes interrogations subsistent sur leurs capacités réelles. L’opinion courante chez les experts, c’est qu’elles sont à la traîne et très loin encore d’égaler les technologies occidentales.

Peut-être serait-il prudent de se méfier, non ? En premier lieu, les leçons de la guerre perdue en Afghanistan, ou les difficultés rencontrées par les forces françaises dans le Sahel, devraient rappeler que la technologie n’est pas tout, que d’autres critères doivent entrer en ligne de compte. Mais, surtout, les Chinois ne sauraient être sous-estimés. Personne ne les imaginait capables d’accéder à l’arme nucléaire quand ils procédèrent à leur premier tir le 16 octobre 1964, non pas sur un terrain d’essai, mais directement depuis un avion Xian H-6A.

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Macron et Xi, même discours ?

Dans un ouvrage récent, Stratégie nucléaire de la Chine. Armes et doctrine. Pour aveugler les tigres (L’Harmattan), le polytechnicien Édouard Valensi, longtemps associé au développement des armes atomiques françaises au sein de la DGA (Délégation générale pour l’armement, devenue Direction générale de l’armement, en 2009) revient sur l’histoire de la bombe chinoise et sur ses évolutions contemporaines. À ses yeux, il convient de prendre la rassurante vulgate nucléaire de Pékin au pied de la lettre : « La République populaire, tout en modernisant résolument ses forces, refuse d’entrer dans la course aux armements ; elle ne fera pas usage de ses forces contre un pays non nucléarisé et ne le menacera pas. Pas de parapluie et, a fortiori, pas de déploiement nucléaire à l’étranger, si bien que, finalement, les armes nucléaires de champs de bataille sont inutiles et ne sont, donc, pas développées. »

Ce discours officiel chinois pourra sembler familier dans notre pays, et pour cause : il est très proche des déclarations françaises sur la dissuasion. L’auteur ne s’en étonne pas et note avec amusement que les sites d’information chinois connaissent le discours sur la dissuasion prononcé par Emmanuel Macron, le 7 février 2020 devant la 27e promotion de l’École de guerre, aussi bien que son intervention, la semaine suivante, lors de la conférence sur la sécurité de Munich. Et l’auteur de noter que, à Pékin, « les diplomates qui suivent la France ont constaté que ce qui a été dit à l’École militaire aurait pu tout aussi bien être prononcé par Xi Jinping à Beijing devant le Collège international des études de défense [site inaccessible si vous désactivez les cookies, NDLR], seul le mot Chine aurait été substitué à France ».

Un armement modernisé

À l’instar des États-Unis, la Chine possède l’arme nucléaire, est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et a signé, mais pas ratifié, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (Ticen). Elle ne conduit cependant plus d’essais « physiques », à tout le moins officiellement, ce qui ne l’a pas empêchée de moderniser ses vecteurs et ses armes. Selon l’auteur, ses têtes nucléaires pèsent 160 kg, et seraient deux ou trois centaines. Ses missiles mobiles Dong Feng-41, de 12 000 kilomètres de portée théorique, tirés depuis des camions érecteurs-lanceurs sont opérationnels depuis 2019 et peuvent frapper le sol américain. Ils comptent chacun six à dix têtes « mirvées », capables d’être individuellement guidées vers des cibles différentes.

Le missile Dong Feng-5C pourrait disposer d’une version tirée depuis des silos enterrés. À propos du missile Dong Feng-26, de 4 000 kilomètres de portée conçu pour frapper des escadres en mer, Édouard Valensi recommande de ne « pas le quitter des yeux ». Quant aux sous-marins nucléaires lance-engins, ils ne seraient pas encore à la hauteur de leurs homologues des autres puissances nucléaires. Mais cela ne saurait tarder : « Ce n’est probablement pas avant 2035 que la Chine pourra disposer d’une composante nucléaire maritime majeure, avec, enfin, un sous-marin de type 096 porteur de missiles JL-3 de 12 000 kilomètres de portée en opération. Les forces nucléaires chinoises seront enfin parvenues à maturité. »

Proximité d’approche

Une « triade » nucléaire comprend des missiles tirés depuis la terre, la mer et les airs. Sur ce dernier point, les forces chinoises ne sont pas en mesure de rivaliser avec les aviations intercontinentales américaines ou russes, mais cherchent à faire évoluer la situation, notamment en modernisant leur flotte de bombardiers avec le « furtif » (ce qui reste à démontrer) H-20 (ou X-20).

À LIRE AUSSILe H-20, le très secret futur bombardier furtif chinoisSa faible allonge limite son emploi, souligne Édouard Valensi : « La Russie, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord sont les seuls pays nucléaires à portée ; la seule cible américaine est la base militaire de Guam, un objectif tactique à plus de 3 000 kilomètres que le X-20 est incapable d’atteindre sans être repéré et abattu. En revanche, les bombardiers nucléaires chinois peuvent intervenir en mer de Chine, en mer des Philippines et dans l’océan Pacifique nord à la rencontre d’une éventuelle 7e flotte américaine en appui à des séparatistes taiwanais. Ils trouveront toute leur utilité lorsqu’ils seront dotés des missiles ASMP hypersoniques en cours de développement. »

Et l’auteur d’estimer que « les forces de dissuasion chinoises sont à présent redoutables et bientôt matures ». Sa conclusion est assez inattendue. Il propose que Paris et Pékin, forts de la proximité de leur approche sur ce sujet précis, discutent « ensemble » de l’avenir de la dissuasion nucléaire et du désarmement. L’avenir appartient aux utopistes.

Jean Guisnel

 

Lire également : Pour aveugler les tigres. Stratégie nucléaire de la Chine. Armes et doctrine, Edouard Valensi, éditions L’Harmattan, 2021