Le leadership mondial en question, L’affrontement entre la Chine et les États-Unis, P.A. Donnet, 2020

de Pierre-Antoine Donnet, Éditions de l’Aube, mars 2020, 232 pages.

Observateur attentif, précis et expérimenté, diplômé de chinois, bénéficiant des « sources inépuisables » de l’Agence France-Presse dont il fut le correspondant à Pékin pendant plusieurs années, Pierre-Antoine Donnet évalue dans ce livre l’état de la rivalité entre la Chine et des États-Unis lancés dans une nouvelle guerre froide planétaire. Il analyse en détail et avec pertinence les antagonismes entre les cultures confucéennes et occidentales et entre les stratégies de Pékin et de Washington, que tout indique incompatibles et irréconciliables. Or, l’enjeu est de taille: le leadership mondial !

L’auteur estime que « la Chine ne veut pas la guerre », ce qui est en effet et pour l’instant courant dans les déclarations officielles. Pourtant, sont  apparus successivement plusieurs programmes de « montée en puissance » qui n’ont rien de pacifique ou d’innocent – comme en témoignent les budgets de la défense et pour la sécurité intérieure. Il conviendrait sans doute de préciser qu’il s’agit d’éviter pour l’instant un conflit armé avec les États-Unis, lesquels disposent d’un rapport de forces indiscutablement supérieur.

Depuis longtemps les Chinois ont étendu la confrontation à tous les domaines autres que militaires: diplomatie, économie, culture, sciences, … avec bien des succès, mais toujours avec méthode et moyens, inlassablement et sous toutes les formes et combinaisons : Instituts Confucius, organismes internationaux dont l’ONU ( secrétaires ou directeurs généraux de l’OACI, de l’UNIDO, de l’IUT, de la FAO, sans compter les complicités établies comme celle qui règne au sein de l’OMS, en la personne de son secrétaire général), espionnage, corruption, y compris en s’appuyant sur la diaspora chinoise et, s’il le faut, sur les Triades.

La Chine, dernier grand pays communiste, instruit par l’échec soviétique, ambitionne pourtant d’imposer son modèle politique en commençant par dépasser les États-Unis dans les domaines économique, technologique et scientifique. Elle s’oppose au libéralisme économique et à toute démocratisation de son régime.

Une grande rivalité mobilise Chinois et Américains dans une compétition géostratégique avec déjà de multiples conséquences parmi lesquelles :

  • une alliance de circonstance sino-russe,
  • l’Afrique devenue une colonie chinoise,
  • le Japon et la Corée du Sud restant un rempart contre la pénétration chinoise.

Sur tous les continents, les assauts chinois profitent ici et là des retraits américains. L’Europe, quant à elle, tente tant bien que mal de conserver son unité et son indépendance, non sans mal.

Aucun continent, aucun pays n’échappe à l’affrontement entre Chine et États-Unis et aucun domaine n’est épargné : les hautes technologies du futur (l’intelligence artificielle, la robotique), les nouvelles routes de la soie – instrument de l’expansionnisme chinois-, et l’espace pour de nouvelles et ambitieuses conquêtes. Seul le domaine militaire laisse un avantage aux Américains qui restent maîtres du jeu.

Après une impressionnante suite d’exemples, inquiétants et étayés d’analyses pertinentes, le dernier chapitre, « La résistible ascension de la Chine », est une réflexion prospective sur le pays le plus peuplé du monde mais dont les facteurs, humains en particulier, sont « des freins et des obstacles majeurs sur le chemin de son développement » :

  • l’environnement, une surchauffe économique durable, la désertification et l’épuisement des sols, la déforestation, la Chine restant le premier pollueur de la planète et en tête pour les émissions des gaz à effet de serre,
  • la dette publique ( 15 % de la dette mondiale, véritable bombe à retardement, près de 235 % du PIB national, pour atteindre 28 400 milliards de dollars), la fuite des capitaux, une bulle immobilière « monstrueuse »,
  • une démographie en berne : baisse du nombre des naissances, et vieillissement de la population,
  • le risque d’un « cygne noir » menaçant la stabilité sociale : comme il en est apparu au cours de l’hiver 2019-2020 avec le coronavirus, avec des conséquences désastreuses sur l’économie,
  • la corruption, mal endémique.

Le réveil de part et d’autre de l’océan Pacifique, constate Pierre-Antoine Donnet, est brutal et douloureux. Le ton monte et le constat est amer. Pour Wang Yi, chef de la diplomatie chinoise, les États-Unis sont devenus « le plus grand facteur de déstabilisation du monde … clairement engagés dans l’unilatéralisme et le protectionnisme. Ils portent atteinte au multilatéralisme et au système commercial multilatéral ». Et, charge inhabituelle dans la bouche d’un responsable chinois, « Certains hommes politiques américains diffament la Chine partout dans le monde, sans produire des preuves ».

Ce qui est désigné comme une guerre des échanges économiques déclenchée par Trump entre la Chine et les États-Unis prendra de l’ampleur face aux difficultés économiques et financières qui ne manqueront pas après la pandémie actuelle. Or, cette guerre a été activée dès les années 1980 par Pékin. Elle s’est prolongée sans déclaration fracassante tant que les dirigeants chinois jugeaient favorablement la formule du pseudo « gagnant-gagnant ». La promesse de « l’ouverture d’un immense marché intérieur chinois », était attendue par les milieux d’affaires et de la finance des États-Unis. Trop tardivement, elle s’est révélée comme étant un leurre au niveau des résultats – provoquant déficits financiers et transferts technologiques – largement au profit de la Chine. Quant à l’espoir de voir un régime communiste évoluer vers un système démocratique qui en aurait résulté, du fait de l’enrichissement et de sa croissance économique, la principale leçon qui en restera est celle d’une erreur stratégique magistrale et de niveau planétaire. Elle sera longtemps à partager entre les populations des pays occidentaux et de pays en développement.

Empruntons à Pierre-Antoine Donnet un paragraphe de sa conclusion :

« Un monde à bien des égards effrayant est en train de se développer en Chine. Il va sans nul doute profondément marquer le siècle. Le système politique, économique et social chinois a donné naissance à une énorme machine implacable qui rejette les différences et les idées, modélise un univers obscurantiste de surveillance et de pensée unique mais accepté par une bonne partie de la population, qui prépare peut-être un « homme nouveau », terrifiant, formaté, corseté, dépossédé de son libre arbitre, nationaliste, à comparer à une société américaine, faite d’individualisme, peut-être décadente, fascinée par la violence et les armes, mais libre. (….) Que la Chine cherche et trouve sa place au soleil est légitime. Devons-nous pour autant accepter qu’elle piétine les fondements de notre civilisation et de notre cadre de vie ? Tout autant, devrions-nous fermer les yeux sur la politique de sinisation au Xinjiang et au Tibet, ainsi que sur les brutalités commises contre les jeunes démocrates à Hong-Kong ? »

Le 30 décembre 2020, le Pr Li Wenliang (李文亮) de l’hôpital central de Wuhan, médecin ophtalmologiste témoigne pour la première fois de l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV. Diffusé sur les réseaux sociaux, le message adressé à des collègues, est capté par les autorités locales, le médecin est convoqué par la police, accusé de propager des rumeurs causant un impact négatif sur la société. Relâché après son interpellation, mais impuissant, le Pr Li peut retourner travailler à l’hôpital. Testé positif le 1er février au 2019-nCoV, il décède le 7 février.

Simultanément, plusieurs hauts responsables politiques de la province ont été limogés et remplacés par des fidèles du Président Xi, ainsi :

  • Ying Yong (应勇), maire de Shanghai nommé secrétaire du parti de la province du Hubei,
  • Wang Zhonglin (王忠林), jusque-là secrétaire du Parti de la ville de Jinan, capitale de la province du Shandong, nommée maire de Wuhan.

*

2019 aura été une année difficile pour la Chine, notamment à la suite de mesures prises par le Président Trump pour réduire les importations chinoises. La croissance économique chinoise en a été sensiblement ralentie. La Chine a été confrontée à de multiples épreuves :

  • des internements massifs de Ouighours et des tensions au Xinjiang,
  • des troubles à Hong-Kong contre la tutelle communiste,
  • le succès des élections à Taiwan avec une majorité défavorable au rapprochement avec le continent.

Le président Xi, accompagné du vice-Premier ministre Sun Chunlan, fit  le 10 mars 2020 sa première visite à Wuhan peu après l’annonce de la stabilisation de la situation, dans une ville largement quadrillée par des policiers et des forces de sécurité publique, la population étant totalement consignée. Une situation qu’il fallait traiter au mieux pour démontrer la supériorité du système et « véhiculer l’idée que la réponse apportée par la Chine au virus était meilleure que celle des autres pays (…)» Il en a suivi rapidement une campagne de propagande dans la meilleure tradition du système communiste. Car il s’agit bel et bien de réécrire l’Histoire, le but évident étant de confirmer un succès chinois et un échec occidental.

Le traitement des pays qui ont bénéficié d’envois d’urgence a été sélectif :

  • célébration des amitiés avec les pays les plus touchés et déjà servis, certains pays européens étant particulièrement visés, comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce,
  • distribution de médicaments et de masques pour démontrer la supériorité du système chinois,
  • mise en accusation des États-Unis qui auraient été à l’origine de cette pandémie !

Une nouvelle guerre froide est en cours. Le dispositif chinois est déjà bien avancé. Le dernier ouvrage de Pierre Antoine Donnet nous en apporte la preuve, si on en doutait,

Après les dégâts de la pandémie, l’étape suivante sera la remise en marche de l’économie de nombreux pays et la stabilité de la paix sociale. La compétition entre les systèmes s’annonce rude, avec un lourd retard à rattraper.

Michel Jan, Asie21