L’Arctique russe, difficultés et promesses de son développement

Éléments documentaires 

Le 6 septembre 2017, le Valdai Discussion Club et Russia 24 Channel ont tenu des débats télévisés intitulés « Pivot de Russie vers l’est : résultats et nouveaux objectifs ».

Le « tournant de la Russie vers l’est » a eu lieu. C’est vrai, à l’intérieur et à l’extérieur du monde, et en Europe et en Extrême-Orient. Dans le même temps, la Russie diversifie ses liens avec l’Asie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Singapour et le Vietnam. Dans un environnement mondial en mutation, il est essentiel que la Russie développe une coopération avec ses partenaires asiatiques. Il est tout aussi important que les principaux acteurs européens, et peut-être aussi américains, soient « accrochés » aux relations de coopération entre la Russie, l’Asie et l’Eurasie, à la fois sur le plan de l’état et de l’entreprise.

L’Asie n’est pas la seule direction vers laquelle Moscou se retourne. L’Arctique et les confins septentrionaux de la Fédération de Russie font l’objet d’une nouvelle attention. La Russie veut devenir une puissance à part entière de l’avenir de l’Atlantique, du Pacifique et de l’Arctique.

Le 29 mars 2017, sur la base aérienne Nagurskoïe (Terre Alexandra, dans l’archipel François-Joseph), le président Poutine a présidé une réunion consacrée au développement des régions du territoire russe situées au-delà du cercle polaire. « Le développement global de l’Arctique va s’amplifier » a-t-il déclaré d’emblée selon le compte-rendu qu’en ont fait les services du Kremlin. Les participants à cette réunion restreinte étaient notamment le Premier ministre Dmitry Medvedev, le ministre des richesses naturelles et de l’environnement Sergei Donskoy, le ministre de la défense Sergei Shoïgu et le représentant spécial pour la protection de la nature, l’environnement et les transports Sergei Ivanov.

Par ailleurs, un expert militaire cité par l’agence de presse RIA, le colonel à la retraite Viktor Litovkin, a déclaré que la Russie poursuivait plusieurs objectifs stratégiques dans l’Arctique :

  • Contrôle de la navigation internationale sur la Route de la mer du Nord, y compris le traitement des alertes pour les icebergs et les intempéries ;
  • Protection des ressources russes de pétrole et de gaz de l’Arctique ;
  • Défense de la Russie contre toute intrusion causée par les navires de guerre étrangers et les menaces contre les missiles ;

Les objectifs de Moscou relatifs au développement de sont d’ordre économique[1], militaire et politique.

Le potentiel économique de la Russie arctique, considérable, reste encore largement hors de portée

  • Hydrocarbures. L’existence avérée d’importants gisements d’hydrocarbures, leur exploitation souffre cependant de n’être effective qu’à terme indéfini. Sans même évoquer les sanctions, qui privent la Russie de financement et de technologies d’exploitation indispensables, notamment pour exploiter l’offshore, l’ampleur de chacun des obstacles à surmonter est considérable : vaincre à la fois l’éloignement et les conditions climatiques, l’étroitesse du budget russe, les incertitudes du cours du baril et du marché de l’énergie, les interférences entre considérations géopolitiques et négociations bancaires, etc.
  • Route de la mer du Nord. Malgré le raccourcissement des distances Asie-Europe et l’allongement du créneau de navigation qu’autorise le dégel de la banquise, le développement de la navigation circumpolaire reste incertain et la rentabilité du transport reste discutée. Sont notamment en cause : une économie de temps et de carburant moindre que calculé du fait d’une vitesse réduite par la présence accrue de glace flottante indétectable, de moindres performances de navires à coque alourdie, des primes d’assurance élevée, le temps long nécessaire à la mise en place des aides à la navigation et de l’équipement logistique indispensable, l’absence d’un hinterland significatif, etc. Néanmoins, le Conseil de l’Arctique estime avec optimisme que le passage du Nord-Est pourrait devenir la plus grande artère de transport au monde d’ici la fin des années 2030, tandis qu’un rapport de la Copenhagen Business School (2016) fait état d’une navigation transarctique devenue économiquement viable d’ici 2040.
  • L’évacuation par la mer et l’exploitation du sous-sol se conditionnent mutuellement, ce qui complique la situation.

Colossal d’emblée, l’effort humain et financier pour mettre ce nouveau « système » en marche est à considérer aux échelles du siècle et de la collaboration internationale. L’envisager avec la Chine comme seule banquière pose certainement à la Russie un problème existentiel. Le Japon, l’Inde et l’Europe devraient y trouver leur place.

  • Un développement militaire dual. Autant les impératifs de la défense du territoire, l’ampleur de la tâche explique le rôle que l’armée russe, corvéable à merci, devra jouer outre la garde aux frontières, dans la mise en valeur de la zone arctique. Le renforcement de sa présence* a notamment pour but, à l’instar du rôle habituel du pouvoir administratif dans le reste du pays, de manifester l’autorité régalienne de l’État dans l’espace quasiment inhabité qui s’étend au-delà du cercle polaire : contrôle, police, secours, appui aux missions scientifiques, lutte contre l’effet des catastrophes de l’exploitation pétrolière, organisation de la navigation circumpolaire, doter l’exploitation à venir des espaces offshores relevant de la souveraineté russe d’une base organisée, etc.

* 14 bases militaires, dont 5 bases aériennes datant de l’URSS sont à moderniser. En projet : 4 autres.

  • Un facteur de puissance politique. Devenue une puissance structurante au Moyen-Orient en 2016, la Russie fait savoir qu’elle ne néglige pas pour autant ses confins glacés. L’affirmation de son statut de puissance globale dans les relations internationales a toujours été un enjeu majeur pour la Russie comme asseoir son autorité dans les négociations et réglementations internationales à venir concernant l’espace polaire – notamment quant à celles qui concernent l’activité des pays tiers, tels la Chine
  1. NB. L’enjeu de puissance vaut pour son président dont le mandat sera remis en jeu début 2018

[1] Certains chiffres, en provenance de plusieurs sources, peuvent être discordants.