Scarborough : Rodrigo Duterte se soumet à la Chine

Scarborough : le président philippin Rodrigo Duterte

se soumet à la Chine

Cet article fait suite à l’Article 8 du

Dossier spécial arbitrage mer de Chine du Sud 

in

Asie21 HORS-SÉRIE n°1, septembre 2016

Une persistante présence paramilitaire chinoise sur le site de Scarborough shoal

Le 2 septembre 2016 les garde-côtes philippins rendent compte de la présence de « barges chinoises » à proximité de Scarborough shoal sans en indiquer le nombre. Le 3 septembre cette présence est précisée par une reconnaissance aérienne philippine. Celle-ci signale 4 garde-côtes escortant 6 embarcations mal identifiées dont deux comme étant des barges, les autres comme de possibles bateaux de pêche, mais sans réelles certitudes sur leur qualité (cf. photos jointes). A la date du 9 septembre les garde-côtes chinois, toujours présents, interdisent à quatre bateaux philippins de pêche d’exercer dans le secteur. Ils rompent les lignes de mouillage des ancres philippines.

Alors que l’alerte est donnée sur cette présence significative pendant la tenue du G20 à Hangzhou, du 3 au 5 septembre 2016, ce qui suscite déjà la vive réaction du ministère chinois des affaires étrangères, le ministre philippin de la défense prend le 7 septembre la décision de publier les photos prises lors de la mission de reconnaissance aérienne, ainsi que le relevé sur carte marine de la localisation des visiteurs chinois (cf. document joint). Les clichés sont diffusés alors que se tiennent à Vientiane les divers sommets de l’ASEAN. Quelques rares média ou chercheurs ont pu les enregistrer immédiatement et les révéler. Parmi eux Rosa Chan sur son blog South China Sea research (https://seasresearch.wordpress.com/).

 

 

Position des dix bateaux chinois repérés au nord-est de Scarborough

(Source : ministère philippin de la défense ; document compilé par Rosa Tran : https://seasresearch.wordpress.com/)

 

Il est à noter que depuis, ces photos ne sont plus accessibles sur le site du ministère philippin de la défense. A la suite de la publication du 7 septembre, tous les accès disponibles ont été bloqués (cf. ci-dessous : tentatives d’accès relevées à la date du 13 septembre 2016).

 

http://www.dnd.gov.ph/ Ce site est inaccessible

http://www.dnd.gov.ph/transparency/dnd-officials-2.html  Ce site est inaccessible

http://www.dnd.gov.ph/transparency/dnd-officials.html  Ce site est inaccessible

http://www.dnd.gov.ph/offices.html  Ce site est inaccessible

Depuis ces accès ont été rouverts mais rien ne ressort sur la question de Scarborough (Ayungin en tagalog) dans les recherches effectuées (tentées le 19 septembre 2016).

 

Des présomptions fondées sur un projet chinois de transformation de l’atoll

Dans cette activité chinoise, les Philippins soupçonnent immédiatement un projet de transformer Scarborough en île artificielle, comme Pékin y a déjà procédé sur sept sites des Spratleys (cf. dossier spécial arbitrage mer de Chine du Sud publié avec le n°98 de la lettre confidentielle d’Asie21), une suspicion qui rend dubitatif nombre d’organes internationaux de presse. Comme si l’excellent article de Bill Gertz, rédacteur en chef de Washington Free Beacon, (freebeacon.com) et éditorialiste de la partie sécurité nationale du Washington Times (www. washingtontimes.com)., paru le 4 avril 2016, (cf. China Outlines Plan for Military Buildup on Disputed Island, Washington Free Beacon, 4 avril 2016, accessible à http://freebeacon.com/national-security/china-plan-for-military-buildup-disputed-island/. avait été oublié et dont il rappelle succinctement la teneur dans un article de Asiatimes (accessible à http://www.newsjs.com/url.php?p=http://atimes.com/2016/09/china-deploys-construction-vessels-at-disputed-reef-as-obama-meets-xi/).

Dans l’article d’avril l’auteur reprend des informations obtenues par les services de renseignement américains après que ceux-ci eurent traduit une publication détectée le 9 mars 2016 sur un site militaire chinois, le « forum du super camp militaire ». Sur ce dernier figure explicitement le plan de reconstruction de l’atoll, aujourd’hui effondré, et de son aménagement. Celui-ci consiste en une reconstitution artificielle du relief original par comblement des espaces immergés qui séparent les récifs émergents subsistants. Une telle reconstitution devrait l’être sur le modèle de ce qui a été accompli par les Chinois sur les sept sites progressivement occupés à partir de 1988 dans les Spratleys.

En vérité, à l’époque de la publication, l’information est déjà connue puisque c’est la compagnie de dragage Tianjin Dredging Co. qui la révèle le 15 décembre 2015, en publiant ses appels à soumissionner dans le but de sélectionner puis rassembler les compagnies de bâtiments et travaux publics susceptibles de contribuer à l’aménagement des lieux. Dans ce projet, devraient être a minima construits une piste d’aviation, une centrale électrique, des locaux d’habitation, un port apte à recevoir en escale ou à demeure des navires de guerre de 3400 tonnes et de 5 mètres de tirant d’eau. En toute logique devraient y être aussi implantés des équipements radars. Dans l’appel d’offres de la société de dragage, l’on découvre également que Tianjin Dredging a confié à Zhenghua Heavy Industry, une société partenaire, la construction d’une drague semblable à celles qui ont contribué à la destruction de l’environnement marin autour des sept îles artificielles de conception chinoise. L’engin doit normalement être livré en 2017.

 

Bien avant que l’information ne sorte sur la place publique la présomption d’intention est cependant déjà connue des services américains de renseignement. Ainsi lorsque John Kerry rencontre son homologue chinois Wang Yi à Washington en février 2016, ce dernier ne nie pas les intentions de Pékin.

Ainsi la persistance chinoise à maintenir la présence dénoncée dans le secteur ne peut que confirmer les présomptions révélées et ce d’autant plus que Pékin persiste dans son refus de reconnaître le verdict rendu par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye. Tandis que de leur côté les Philippines tentent de s’adapter.

Le refus chinois du verdict de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) et la prosternation philippine

N’ayant pas pu, parce qu’elle n’en avait pas la compétence, statuer sur la question de la souveraineté sur Scarborough reef entre la Chine et les Philippines, tous deux en contentieux territorial à ce propos, la CPA a toutefois déterminé que les Chinois ne pouvaient pas disposer de l’exclusivité de la pêche sur et autour des récifs. Pour cela la Cour s’est appuyée sur le fait que les Chinois, même n’étant pas partie au procès, faisaient valoir des droits ancestraux, fondés sur la pêche artisanale, établis en ces lieux. La CPA a retenu cet argument pour faire valoir que les mêmes droits s’appliquaient au même endroit aussi bien pour les Philippins que pour les Vietnamiens ou les Taiwanais (Cf. articles n°7 et 8 du dossier spécial). Ce qui, en fin de compte, et faute d’une détermination de la souveraineté sur le site, en fait un espace international.

Ce que la Chine refuse, tandis que de leur côté les Philippines font valoir très humblement leurs droits à revenir dans la zone. En effet, le nouveau président Duterte, dans diverses déclarations et rencontres avec les Chinois se pose plutôt en position de quémandeur d’aumône plutôt que de chef d’Etat dont les droits ont pourtant été confirmés par une instance arbitrale reconnue par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), et habilitée à traiter de différends liés à l’interprétation de ce droit.

Ainsi le 23 août 2016, Rodrigo Duterte demande-t-il aux Chinois de permettre à ses pêcheurs de revenir dans les eaux disputées de la mer de Chine du sud et implore plus tard Pékin, le 29 août, de prendre en considération la misère de ces pauvres artisans. La Chine, en la personne de son ambassadeur à Manille, Zhao Jianhua, apporte pour sa part une réponse positive, mais plutôt laconique : « Nous allons porter attention à la possibilité de régler cela. Les détails ne sont pas encore fixés mais nous devons discuter avec la partie philippine. Je ne connais pas la situation exacte en mer mais nous regarderons quelles sont les possibilités » a-t-il dit (cf. http://www.rappler.com/nation/144520-duterte-china-filipino-fishermen-west-philippine-sea)

Le 2 septembre 2016, le président philippin annonce qu’il n’a pas l’intention de soulever la question à l’occasion du sommet de l’ASEAN, répondant ainsi, comme les autres membres de l’association aux exigences de la Chine. Mais il le ferait en aparté avec les représentants chinois pour leur demander « si oui ou non nous pouvons toujours avoir des droits de pêche » ajoutant toutefois « ce qui est tout à fait le droit de notre pays qui a gagné une procédure arbitrale » (cf. http://www.rappler.com/nation/145031-duterte-fishing-rights-west-philippine-sea-asean-summit).

 

Il est évident que Rodrigo Duterte est tout à fait conscient de la faiblesse de ses capacités de force par rapport à la Chine. Il l’a dit et l’admet. Qu’il veuille ménager la Chine pour éviter des incidents graves et pour renouer des liens quelque peu distendus est tout à fait compréhensible. Mais se comportant ainsi il remet indirectement en cause le verdict de la CPA, se soumet au bon vouloir de Pékin, reconnaît implicitement la souveraineté chinoise sur l’atoll et par voie de conséquence se défait des prétentions de son pays dessus.

C’est pourquoi il se contredit lorsque, à côté de cela, il affirme vouloir négocier avec les Chinois sans sortir des résultats du jugement de la CPA. Il ne fait pas non plus la preuve de la volonté de vraiment s’appuyer dessus lorsque ses pêcheurs, selon le droit qui leur en est reconnu du fait du jugement, et non pas du fait d’une dépendance à la bonne volonté chinoise, retournent sur Scarborough sans être accompagnés par un seul garde-côte. Une telle initiative, liée au devoir de la protection des pêches de la part de l’Etat, aurait bien évidemment entraîné des confrontations. Comme il y en a déjà eu auparavant, elles auraient été accompagnées d’agressions chinoises à la lance à incendie ou d’« éperonage » des bateaux philippins. Mais la détermination philippine aurait été démontrée.

Quant à envisager un soutien, même lointain, de la marine américaine aux pêcheurs philippins autour de Scarborough, l’attitude actuelle du président Duterte, entré dans un registre foncièrement anti-américain malgré quelques allégations qui se veulent rassurantes, en exclut complètement l’hypothèse. Il est concevable que le nouveau président puisse être hérissé par la position moralisatrice américaine à propos des méthodes expéditives auxquelles il recourt pour régler les problèmes de grand banditisme dans son pays. Mais en bon matamore qui ne redoute pas de recourir à l’insulte, il ne s’est pas gêné pour le faire à l’encontre du président Obama. Le voici aussi qui détricote beaucoup de l’ouvrage entrepris par son prédécesseur en matière de sécurité, tant interne qu’externe. Le voici qui, aujourd’hui, demande à Washington de retirer ses quelque 100 conseillers, en place depuis le début des années 2000 auprès de l’armée philippine pour lutter contre le groupe islamiste Abu Sayaff dans l’île de Mindanao. Et cela à un moment où le mouvement rebelle y reprend de la force, aidé en cela par Daesh, et qu’il n’est toujours pas éradiqué. Ce qui amène à douter effectivement de l’efficacité desdits coopérants. Voici aussi Roberto Duterte qui déclare ne plus vouloir participer à des patrouilles navales mixtes américano-philippines dans les eaux territoriales du pays.

Le problème qui se pose désormais est de savoir jusqu’où le nouveau président poussera la logique d’une telle position : remise en cause de la présence américaine aux Philippines ? dénonciation même de l’accord de coopération renforcée de défense (Enhanced defense cooperation agreement / EDCA) signé le 28 avril 2014 ? La conséquence en serait que les Etats-Unis se trouveraient dans de vraies difficultés pour continuer à faire physiquement valoir, en vertu du verdict de la CPA, la totale liberté de la navigation sur tout l’espace désormais invalidé juridiquement de la « langue de buffle ». Ils ne disposeraient en effet de plus guère de points d’appui sur la périphérie de la mer de Chine du Sud. En l’état actuel de la situation les autres possibilités offertes à l’accueil de leurs bâtiments de guerre se trouvent de fait limitées à Singapour. Dans ces conditions la question subséquente qui se pose est de savoir si le Vietnam oserait rouvrir officiellement l’accès de la base de Cam Ranh aux Etats-Unis, si l’Indonésie et la Malaisie accepteraient aussi un accueil de leur côté, fut-il limité en durée et en volume.

Une telle situation ne peut toutefois pas empêcher les Etats-Unis d’approcher de Scarborough puisque le site est pour l’instant établi espace international en vertu du jugement arbitral rendu, même si la décision est d’abord fondée sur le droit de tous à y pratiquer une pêche artisanale traditionnelle. Mais la souveraineté de la Chine, ni celle des Philippines n’étant établie dessus, il n’y aucune raison pour quelque marine que ce soit de se voir interdite de venir visiter les lieux dont l’avenir, tel qu’envisagé par les Chinois, a tout lieu d’inquiéter les Etats-Unis.

En effet transformé en plateforme à vocation militaire Scarborough offrirait aux Chinois d’être à plus grande proximité des bases où les Philippins ont commencé à accepter des éléments des forces américaines, si toutefois elles y restent. Mais le plus important est que le site est idéalement placé à peu de distances des voies de transit des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), les Jin, en route depuis leur port-base de Sanya, au sud de Hainan, vers leurs zones de patrouilles, soit vers les profondeurs de la mer de Chine du Sud, soit vers celles du Pacifique où, de là, ils auront la capacité de menacer les Etats-Unis. Une telle position offrirait à Pékin un moyen d’assurer au plus près une surveillance rapprochée, liée à leur sécurisation, de tels transits stratégiques (cf. « Mer de Chine : une sanctuarisation chinoise », Revue de la défense nationale, juin 2010, accessible à  http://www.defnat.com/site_fr/pdf/SCHAEFFER-06-2010.pdf, et « Why China needs the South China Sea for itself alone », juin 2016, accessible à http://www.asie21.com/asie/index.php).

 

Daniel Schaeffer, Asie21

 

 

Photos de bâtiments chinois repérés dans le secteur de Scarborough

(Source : ministère philippin de la défense ; document compilé par Rosa Tran : https://seasresearch.wordpress.com/)

 

Garde-côtes

Photo du département philippin de la défense nationale (Department of National Defense / DND).

 

 

Un autre type de garde-côte (modèle ancien)

Photo du département philippin de la défense nationale (Department of National Defense / DND).

 

Garde-côte

Photo du département philippin de la défense nationale (Department of National Defense / DND)

 

 

Un étrange bateau de pêche

Photo du département philippin de la défense nationale (Department of National Defense / DND)

 

Un autre étrange bateau de pêche

Photo du département philippin de la défense nationale (Department of National Defense / DND

 

Encore un autre étrange bateau de pêche

Photo du département philippin de la défense nationale (Department of National Defense / DND