Pascal Dayez-Burgeon et Kim Joo-no, éditions Le cavalier bleu, 2013
Voici un ouvrage qui donne des clefs fondamentales pour comprendre ce qu’est la péninsule coréenne : un pays, deux États.
L’auteur commence par un rappel historique pour mieux comprendre la situation actuelle : au Moyen Âge (918 à 1392), le royaume Goryeo dominait la péninsule. Au XIVe siècle, le pays reprend le nom de Joseon qu’il avait avant l’ère chrétienne puis se transforme en empire du peuple Han de 1897 jusqu’à l’annexion par le Japon en août 1910. Protectorat puis colonie japonaise jusqu’en 1945, la Corée devient indépendante. Kim Il-sung (1912-1994), jeune résistant (guérilla antijaponaise), est le favori de l’URSS et Yi Seung-man (1875-1965), autocrate septuagénaire, dispose de puissants réseaux dans les milieux conservateurs américains. La division, résultat de la Guerre froide, va être imposée de l’extérieur par Washington et Moscou. En 1948, le pays se scinde en deux avec les proclamations au nom de la nation tout entière, de la République démocratique de Corée du Nord par Kim Il-sung d’une part et de la République de Corée du Sud par Yi Seung-man d’autre part. Kim et Yi rivalisent d’agression, promettant chacun la réunification de la patrie au détriment de l’autre. Persuadée que les États-Unis ne bougeront pas plus pour la Corée que pour la Chine devenue communiste en 1949, la Corée du Nord lance ses troupes à l’assaut du Sud le 25 juin 1950. C’est le début de la guerre de Corée. L’Occident est très inquiet que ce conflit dégénère en 3e guerre mondiale. Une force d’intervention composée de volontaires et du général MacArthur débarque à Incheon et brise l’élan du Nord pris par surprise. Mais en octobre, la Chine entre en scène, le Nord est repris et le Sud à nouveau envahi en janvier 1951. Une guerre des tranchées, sanglante et inutile dure deux ans jusqu’à l’armistice signé à Panmunjeon le 27 juillet 1953, 4 mois après la mort de Staline qui ne voulait rien entendre. Cette guerre a ravagé la péninsule. Il n’y a pas eu de réunification : 60 ans plus tard, le Sud est toujours soutenu par Washington, le Nord l’est maintenant par Pékin. Et les deux Corées ne parviennent pas à convertir la convention d’armistice en traité de paix.
Diplomate en Corée du Sud de 2001 à 2006, l’auteur connaît bien cette région. Il explique comment le cas coréen est unique en ce que le Nord et le Sud ne s’entendent pas sur le même nom : première étape vers une réunification. Le Nord a choisi celui de Joseon, le Sud a repris l’appellation han, Hanguk : le pays han. Pour ceux du Nord, les sudistes habitent au Nam-Joseon et pour le Sud, les nordistes sont des puk Han, des Hans du Nord. Il y a un paradoxe coréen avec un État voyou et un miracle économique. Même si elles s’opposent frontalement, les deux Corées constituent désormais un pôle de première grandeur, du point de vue politique, militaire, économique et culturel. La Corée a changé et ce changement nous concerne. Quelques chiffres : 12e économie du monde, croissance, excédentaire malgré la crise, potentiel démographique, pôle de formation et de recherche, endettement limité, pouvoir d’achat équivalent au nôtre, quelques records industriels.
Le Nord communiste a 20 % de plus de terres arables de moins que le Sud capitaliste. Son climat est beaucoup plus rude. Le Sud est majoritairement rizicole. La société coréenne reflète ce contraste géographique. Dans les années 1960, la Corée du Nord passe pour le pôle économique le plus dynamique d’Asie, après le Japon. Au Sud, étudiants et intellectuels progressistes regardent avec envie vers le Nord. Mais le Nord dépend de Moscou pour son approvisionnement en pétrole contre l’absorption de sa production (acier, machines outils, locomotives). Kim Il-sung se méfie des successeurs de Staline et lance le Juche, un système de valeurs qui exalte l’indépendance politique, l’autosuffisance économique et l’autonomie militaire de la nation. Cette idéologie assoit sa dictature nationaliste sans partage sur le parti et sur l’armée. Puis, l’URSS en difficultés demande à Pyongyang de régler en dollars le pétrole livré auparavant gratuitement au titre de solidarité communiste. Pyongyang se rapproche alors de Pékin, mais sans succès : en pleine Révolution culturelle, la Chine n’a aucun crédit à lui consacrer. Puis dès 1978 avec l’ouverture économique, la Chine n’en voit plus l’intérêt. Le Nord n’a bientôt plus les moyens de subvenir à sa politique sociale. Au nom du Juche, le communisme laisse place à un système de plus en plus inégalitaire, voué à gérer la pénurie. Kim Il-sung répartit la population en 3 catégories : les sympathisants, les tièdes et les opposants. Elles sont elles-mêmes divisées en une cinquantaine de sous-catégories avec droits au logement, dans la capitale ou ailleurs, accès à la nourriture, au logement, à la formation et à l’emploi. Mince élite, privilégiée : le clan Kim et ses proches, les autorités militaires et les principaux cadres du parti. Le pays devient l’un des États les plus inégalitaires au monde. Les 9/10 de la population connaissent la misère, le rationnement, parfois la famine. Pour maintenir la capitale à flot, des régions entières sont sacrifiées. Et donc, il y a une propagande de tous les instants pour éviter que le système n’explose, avec une généralisation de comportements d’asservissements volontaires.
La Corée du Nord, nous apprend l’auteur, était à la fin des années 1960, le deuxième dragon asiatique. Dans les années 1990, elle sombre dans l’apocalypse et rime aujourd’hui avec catastrophe et gâchis. Elle n’était pas : elle est devenue un pays sous-développé. En se consacrant à sa défense, à l’entretien d’une troupe pléthorique et à des équipements et armements de plus en plus sophistiqués, le régime a maintenu l’ordre mais privé le pays des investissements nécessaires à sa modernisation.Elle a subit des inondations là où se situent les terres les plus fertiles, puis des périodes de sécheresse paralysant les centrales hydroélectriques. Ces catastrophes naturelles sécheresses ont provoqué des famines telles que Pyongyang en appelle à l’aide internationale. En 2012, elle subira encore de terribles inondations. Cette crise sans précédent a plutôt servi Kim Jong-il (fils de Kim Il-sung) : il en a profité pour renforcer son autorité sur l’armée, pilier essentiel du régime, épargnée par le rationnement. Les zones suspectes, les régions périphériques et, globalement, la côte Est ont été abandonnées à leur sort afin de préserver la capitale où vivent les privilégiés du régime, le Sud-Ouest (grenier rizicole), le Nord-Ouest (échanges avec la Chine). En laissant filtrer des informations catastrophistes, il a obtenu une aide substantielle de l’ONU, des États-Unis, de la Chine et de la Corée du Sud. Dans les années 2000, Bush lance un programme « aide contre armement ». Mais la Corée du Nord a continué son armement et s’est dotée de l’arme atomique. Une nouvelle épreuve de famine ne renforcerait pas la cohésion nationale. Devenu son mentor politique depuis la chute de l’URSS, Pékin incite Pyongyang à s’entrouvrir à l’économie de marché. L’armée, pilier du régime, a reçu des terres et contrôle des filières d’import-export. Elle s’opposera à toute réforme qui menacerait ses privilèges. Pour se procurer des devises, la Corée du Nord a instauré des zones économiques spéciales où des ouvriers du Nord travaillent pour des sociétés étrangères. Un embryon de bourgeoisie a fait son apparition à Pyongyang et à Nampo qui n’hésite pas à étaler sa « réussite » (téléphones portables, voitures de société, vêtements de marque –importés en contrebande-). Apparemment, avec le soutien de l’armée et le nationalisme qui prévaut dans le pays, ce dernier n’est pas menacé.
L’auteur analyse aussi au fil des chapitres comment, dans cette monarchie du Nord, Pyongyang est un théâtre d’ombres où la propagande joue en boucle et où le prince règnerait sans gouverner ; comment elle a eu cette réputation d’État voyou ; comment, par le biais d’organisations mafieuses, elle se livre à la contrebande de composants nucléaires avec Dubaï et au trafic de fausse monnaie. Le succès de son programme nucléaire confirme l’autorité du clan Kim sur l’armée et renforce sa légitimité aux yeux de l’opinion publique. Pour l’auteur, il ne faut pas non plus perdre de vue l’instrumentalisation par les médias occidentaux des excès de la Corée du Nord. La question de la réunification est également abordée en analysant les intérêts du Nord et du Sud mais aussi ceux de la Chine et des États-Unis. Du début à la fin, on ne s’ennuie pas dans cette lecture très intéressante.
Catherine Bouchet-Orphelin, Asie21