Le Gué du tigre

Le gué du tigre

Philippe Dessertine, editions J’ai lu, collection thriller, mars 2014

roman

6 février 2012 : Wang Lijun, le chef de la police de Chongqing, se présente au consulat des États-Unis à Chengdu pour y demander l’asile politique. L’auteur, par ce roman, raconte la férocité des luttes au sommet de la superpuissance chinoise. Il relie les événements politiques aux soubresauts agitant l’économie et la finance mondiale. Il rompt avec la myopie de l’Occident obnubilé par son propre nombril et ses stratégies de court terme.

Chongqing, situé à 320 km de Chengdu et qui compte plus de 30 millions d’habitants aujourd’hui, est depuis 1930 une sorte de petit Chicago où prospère la pègre. Il a fallu la volonté du secrétaire général du Parti communiste local, Bo Xilai, et le courage de son bras armé, son chef de la sécurité Wang Lijun, pour procéder à plus de 1 500 arrestations. La légende de ce nettoyage est planétaire. Bo Xilai sera l’un des dirigeants les plus importants des prochaine années et il n’est pas exclu qu’il devienne un jour président. Mais toutes ces élucubrations se passent avant le 6 février 2012. Car depuis, Wang Lijun a appuyé sur le bouton rouge. La fission nucléaire a débuté et l’onde de choc va être gigantesque. Les États-Unis doivent comprendre que la Chine peut basculer dans le chaos, dans un régime politique différent, beaucoup plus dur, beaucoup plus dangereux, et ce à très brève échéance.

 Pour les Américains, les princelings sont considérés comme les gardiens du  temple, à différencier des  dirigeants sans ascendance « noble » au sens du Parti, ayant gravi les échelons par eux-mêmes, grâce à leurs diplômes, leur volonté, leur intelligence, tels le président Hu Jintao ou le Premier ministre Wen Jiabao. Cependant, la rivalité entre les princes héritiers, en retrait depuis 10 ans, et les autres dirigeants potentiels s’est exacerbée dans des proportions inouies. La Chine est dans une situation de guerre potentielle, pouvant dégénérer en coup d’État militaire, voire en scission d’une partie de la Chine. L’action de Wang Lijun a été conduite, avant ce 6 février 2012, en étroite relation avec l’un des princelings les plus fascinants, Bo Xilai, susceptible d’entrer au saint des saints parmi les neuf membres du Comité permanent dès la fin 2012. Mais la répression des gangs, menée par Wang,  lui a permis d’obtenir des preuves les plus incontestables du lien tragique entre ce combat politique pour le contrôle du pouvoir suprême et les triades, la mafia. S’engage une lutte à mort pour prendre le contrôle de la puissance en devenir de la Chine. L’enjeu est si considérable que peu lui résiste. Si le communisme est une idéologie menant à l’impasse économique et politique nous dit l’auteur, la corruption est un facteur de destruction de toute la société.

Toute l’action prend place à l’intérieur du consulat américain de Chongqing et nous plonge au cœur des révélations du chef de la police et des négociations entre Américain(s) et Chinois. L’auteur nous fait partager tout ce laps de temps – 36 heures – avant que Wang Lijun n’en ressorte et soit arrêté par les autorités chinoises. Si Philippe Dessertine n’est  pas un spécialiste de la Chine, il a en tout cas sûrement été très bien informé pour mettre en scène, avec brio, ce qui a pu se passer. Cette histoire est un roman très bien monté, donnant certaines clefs de compréhension de cette “affaire Wang Lijun”. Et dit la quatrième de couverture : « ce pourrait être de la pure fiction. Pourtant, dans ce livre, tout est vrai ou presque ». À lire.

Catherine Bouchet-Orphelin, Asie21

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