de René Capain Bassène, préface du père Nazaire Diatta, éditions L’Harmattan, décembre 2016
Le conflit en Casamance, qui oppose le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) aux forces gouvernementales, dure depuis 1982. Ses répercussions sur les populations civiles sont désastreuses : homicides, terreur, viols, exactions, exécutions sommaires. Il entraîne ainsi la dissolution du tissu familial et communautaire, l’instauration d’un climat de haine, de méfiance, de défiance, la destruction des infrastructures sociales de base, la destruction de l’économie.
La Casamance est composée de trois régions administratives : Ziguinchor (Diolas), Kolda (Peuls), Sédhiou (Mandingues et Balantes). Traditionnellement fétichistes, les Diolas Kassa ont été sensibles à la présence des Français et à l’évangélisation de leurs missionnaires, alors que les Diolas du Fooni ont été marqués au XIXe siècle par l’islamisation guerrière des marabouts mandingues. Le culte des fétiches (Diolas) reste vivace. Islam au nord, tradition culturelle fétichiste au sud. La Casamance est enclavée par rapport au reste du Sénégal et a des frontières avec trois États différents : la Gambie, la Guinée-Bissau et la Guinée Conakry. Traversée par le fleuve Casamance, la région est également la partie la plus humide du Sénégal ce qui fait d’elle le secteur agricole le plus riche du pays avec des cultures variées. Plus le tourisme.
L’auteur retrace ici l’histoire de ce conflit en rassemblant des témoignages d’acteurs de tous bords : MFDC, gouvernement, population civile. On est horrifié par les récits des uns et des autres. Un chef de village raconte : « nous ne sommes plus des personnes mais de simples animaux dans un parc, à la merci des militaires et des combattants du MFDC. » Un militaire confesse avoir procédé à des exécutions sommaires sur simple dénonciation sans jamais prendre le temps de vérifier si les accusations étaient fondées ou non. Un civil est arrêté chez lui par les soldats. Interrogé, il répond qu’il n’est pas un rebelle et qu’il n’a aucun fils ni parent proche rebelle. Mais avec un revolver braqué sur lui, le civil finit par dénoncer des innocents pour sauver sa peau. Un autre est roué de coups par des soldats qui le piétinent comme un vulgaire objet après avoir joué au ballon avec son corps. Une arme est pointée sur son front et une autre sur son oreille gauche. Il est privé de nourriture, d’eau et de sommeil pendant trois jours. S’il ferme les yeux, il est violemment réveillé par une gifle, un coup de pied ou de cross. Les militaires le forcent à faire de faux témoignage et à accuser des personnes d’être des rebelles. Ces dernières sont aussitôt arrêtées, torturées et sauvagement abattues. Beaucoup d’innocents sont torturés à mort parce que faussement accusé par d’autres innocents qui veulent tout simplement échapper à la torture. La privation de sommeil est l’une des pires méthodes de torture appliquée par l’armée sénégalaise sur les prisonniers accusés d’appartenir au MFDC, en plus des coups de pieds, gifles, injures, regard fixé sur les phares de véhicules braqués sur eux. Un Imam arrêté par de jeunes soldats est comparé à Satan. Affligé, il leur signifie qu’il pourrait être leur papa et qu’ils n’ont pas le droit de le traiter de tous les noms d’oiseaux. En réponse à sa réaction, il est roué de coups et de gifles. Il pleure. Une autre technique encore, consistant à broyer l’orgueil des inculpés, permet de les déstabiliser, et leurs réactions peuvent contribuer à justifier leur inculpation témoigne un lieutenant. Ainsi, un homme ne pouvant supporter les injures proférées à l’encontre de sa mère réagit en insultant les soldats. Face à son refus de se taire, il est battu jusqu’à perte de connaissance. Libéré quatre jours plus tard, il meurt d’un traumatisme crânien mal soigné. La moto d’un professeur en retraite arrêté par des combattants du MFDC est réquisitionnée alors qu’il vient juste de l’acheter avec un prêt bancaire. Un boutiquier est dévalisé : le fruit d’un dur labeur et toutes ses économies se sont envolés en quelques minutes. Un autre commerçant explique comment les rebelles du MFDC font irruption en pleine nuit et récupèrent toutes ses marchandises. Il résiste et l’un des rebelles lui sectionne l’oreille gauche. Une retraitée raconte comment son mari, militaire à la retraite, est arrêté par les rebelles en pleine nuit chez lui. Il est ligoté et égorgé devant la porte parce qu’accusé de connivence avec l’armée. Un autre, arrêté sur la route par des soldats, est déshabillé et violemment sommé de se mettre à genoux. Dès qu’il essaye de s’asseoir sur ses talons, il reçoit aussitôt des coups de pied. Il reste donc dans cette position toute la nuit, sans manger ni boire. Le lendemain, il est à nouveau interrogé : même question, même réponse. Un soldat le traite de menteur, et écrase son mégot de cigarette sur son dos. Les mains attachées derrière, il est jeté dans un trou rempli de fourmis. Le troisième jour, le chef ordonne de faire brûler une bouteille vide d’eau de javel et de laisser suinter sur son corps les semblants de gouttes très chaudes. Face à cette atroce douleur, il hurle pendant que les soldats rient. Puis il reçoit des coups au niveau de ses parties intimes. Cette souffrance combinée au manque de sommeil l’oblige à accuser des innocents : des militaires ont ainsi froidement exterminer des dizaines de personnes sans distinction aucune. La pratique de la délation engendre une dégradation des rapports interpersonnels, intra et intercommunautaires. Elle engendre un climat de relations tendues avec beaucoup de ressentiment de rancœur, de rancune, de vengeance, et de haine entre individus contribuant ainsi à favoriser l’émergence d’une culture de la violence. Ainsi, même au sein d’une même famille, des rapports de méfiance entre frère et sœur s’installent. C’est facile de faire tuer quelqu’un (par exemple pour un problème d’héritage, pour éliminer un créancier…) soit par l’armée soit par la rébellion en l’accusant d’être de connivence avec l’un ou l’autre camp.
Ce qui est décrit dans ces témoignages est à la fois terrible et horrible. L’auteur souhaite que chacun se rendre compte de la réalité des crimes et des atrocités commis sur les populations civiles par des éléments des parties en conflit. Et que plus jamais de telles horreurs ne se reproduisent en Casamance. L’auteur retrace et analyse la gestion du processus de paix et les tentatives successives et infructueuses des « Messieurs Casamance ». Du président Abdou Diouf (1990–1999), d’Abdoulaye Wade (2000-2012) jusqu’au président Macky Sall, le conflit casamançais connaît une succession de médiateurs et de commissions de recherche de la paix. Malgré tout, la crise perdure. Ainsi est observé une prolifération de griots, hommes et femmes, de croyance et d’obédiences diverses, se prétendant détenir les clefs de la paix, pour la honte de la Casamance, et que la télévision nationale s’empresse d’immortaliser pour la postérité. En dehors des « Messieurs Casamance », une vingtaine d’organisations sont intervenues entre 1990 et 2015 dans le cadre de la recherche de la paix. Mais elles évoluent en l’absence totale de synergie entre elles, chacune voulant tirer les honneurs vers elle. L’auteur analyse ensuite les facteurs qui paralysent le processus de paix en Casamance, certains ne voulant pas de la fin de la guerre. Il donne aussi le point de vue de la population sur ce conflit.
À qui profite la guerre ? René Capain Bassène tente d’y répondre en dégageant les raisons des échecs et propose des esquisses de solutions. Ce livre éclaire sur un conflit très peu évoqué dans le monde.
Catherine Bouchet-Orphelin, Asie21
1 réflexion au sujet de « Casamance, à quand la paix ? »
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