Littérature tamoule (La), un trésor inconnu, David Annoussamy, 2017

de David Annoussamy, La littérature tamoule, un trésor inconnu, Éditions Kailash, 2017

Il y a quelques années, M. David Annoussamy faisait paraître un livre dont nous avions rendu compte sur le site du CIDIF. Nous avions salué l’adresse de l’auteur à transmettre les qualités d’une littérature pas ou très peu connue en dehors des locuteurs de la langue tamoule ( voir : La littérature tamoule, un trésor inconnu, un livre de David Annoussamy ). Nous avions pensé à l’époque que les Tamouls francophones retrouveraient dans ce livre des raisons d’être fiers de leurs origines et que tous les autres y trouveraient matière à s’instruire et à s’émerveiller.

Le succès rencontré par ce livre a conduit l’éditeur à proposer une nouvelle édition de l’ouvrage. L’auteur a donné son accord mais s’est réservé la possibilité, tout en restant dans le cadre du même volume, de parler d’œuvres qui n’avaient pas pu trouver leur place dans la première édition. Pour cela, il a apporté à la première partie du livre de nouvelles considérations sur la littérature moderne et populaire, qui nous font saisir toute la vitalité de la civilisation tamoule actuelle et de ses rapports avec cette langue si ancienne que c’est sans doute la seule langue vivante dont on ne connaisse pas la langue-mère.

Dans la deuxième partie consacrée aux grandes œuvres l’auteur a introduit de nouvelles figures littéraires illustres prises du VIe au XXIe siècle qui nous permettent d’apprécier, à travers les âges, les qualités de virtuosité dans l’expression, de profondeur dans la pensée abstraite, de goût de la vie sous toutes ses formes et de questionnement sur les modes de vie ou de pensée et leur évolution

C’est ainsi que nous faisons connaissance avec une poétesse du VIe siècle, Karaikal Ammaiyar, dont la vie tient plus à la légende qu’à l’histoire mais dont le souvenir reste bien présent dans les temples, notamment à Karikal, et dans la statuaire de tous les temples dédiés à Siva. Si sa vie, telle qu’elle est rapportée, est un conte en soi-même, ses œuvres, ou tout au moins celles que l’on peut connaître encore, manifestent une maîtrise exceptionnelle de la métrique particulièrement contraignante de certains types de poème. Elle est tenue pour « la plus grande femme de lettres de la littérature tamoule ». Ses expériences mystiques donnent une profondeur particulière à ses œuvres poétiques où l’on retrouve la conception sivaïte d’après laquelle « tout ce qui existe n’est que Dieu lui-même ».

Un autre écrivain, du IXe siècle, est présenté dans le livre. Il s’agit de Tirou-taka-Tévar, un Jaïn prosélyte qui écrivit un poème-roman de 3145 strophes intitulé Sivaga-Sindamani, le héros éponyme et dont le nom signifie : perle capable d’accomplir ce qu’il veut comme il veut. La vie de ce héros est une suite d’aventures qui le conduisent d’abord d’une naissance dans d’extraordinaires conditions à une course effrénée dans le plaisir amoureux au point d’épouser huit femmes. Récupérant le trône de son père, il administre son royaume avec sagesse à la satisfaction de ses sujets. Et, un jour, il décide de devenir renonçant et convainc ses épouses de le suivre dans cette voie. Tirou-taka-Tévar, sans jamais prêcher directement aucune doctrine, montre par l’exemple que le renoncement sincère est seul apte à rompre la chaîne du karma et que l’on doit renoncer à ce que l’on a vraiment connu, d’où l’importance accordée aux plaisirs de l’amour.

Pour ces deux écrivains et les autres insérés dans cette nouvelle édition, David Annoussamy, avec la même simplicité apparente, nous fait pénétrer dans des œuvres dont la complexité de la construction, pour ce qui est du champ poétique, fait ressortir la beauté d’une réalisation que nous avons le sentiment de ressentir malgré le barrage de la langue. Pour nous faire partager sa profonde admiration pour la littérature de sa langue maternelle, l’auteur, non seulement « décortique » les ouvrages qu’il présente mais, en plus, traduit souvent lui-même des passages dans un français dont la qualité nous rappelle qu’il participe totalement à deux cultures, la tamoule et la française.

Tous ceux qui ont apprécié la première édition auront certainement à cœur de prendre connaissance de ce nouveau livre. Toutes celles et tous ceux qui, de plus en plus nombreux, viennent et reviennent chaque année dans l’Inde du sud et surtout tous les Français d’origine totalement ou partiellement tamoule sauront témoigner leur reconnaissance à un auteur dont l’œuvre marque essentiellement une volonté de faire comprendre dans notre langue la grandeur d’une civilisation toujours bien vivante.

Roland Bouchet

La Lettre du CIDIF, le 24 septembre 2018