L’islam radical – Faut-il avoir peur de l’avenir ?

d’Antoine-Joseph Assaf, éditions Eyrolles, avril 2015 – Prix Vauban AA-IHEDN 2016

Aujourd’hui, l’islam joue son avenir et sa place dans le monde. Pour comprendre les paradoxes de ses manifestations perturbantes, Antoine-Joseph Assaf analyse les causes de ce radicalisme en remontant aux origines et aux histoires qui ont façonné le Moyen-Orient. L’auteur nous éclaire avec talent sur l’histoire de cette région du monde très complexe, où toutes les pièces du puzzle sont nécessaires pour sa compréhension.

Résumé

Le califat a connu grandeur et décadence. C’est dans son évolution qu’il faut voir les raisons qui ont mené certains courants de l’islam d’aujourd’hui à des postures radicales et guerrières. Après la naissance d’un empire (632) qui dure jusqu’à la destruction du califat par Atatürk (1924), le monde a assisté à sa décadence et à sa mort. Aujourd’hui, les islamistes veulent ressusciter ce califat envers et contre tout.

Antoine-Joseph Assaf revient sur les trois grandes périodes des califats : les Omeyyades (661-750), les Abbassides et lecalifat ottoman (1517-1924) qui mena à la décadence et la destruction progressive du pouvoir du calife, de Selim 1er à Mustafa Kemal. Ce dernier abolit le sultanat en 1922 et le califat en 1924.

L’expansion fut si rapide qu’elle a affaibli jusqu’à leur extinction les deux grands empires perse et byzantin, qui cernaient et dominaient l’Arabie. Aujourd’hui, le monde musulman est divisé entre sunnites et chiites et représenté par deux puissances : l’Arabie saoudite et l’Iran, ayant formé des alliances et des mésalliances extrêmement complexes avec les deux grandes puissances occidentales : États-Unis et Russie. Ainsi, explique l’auteur, l’islam reste en tension et des factions musulmanes minoritaires veulent restaurer à tout prix son passé glorieux, par le recours à la force, la terreur, le terrorisme aveugle et l’idéologie d’un djihad dépassé et anachronique. La première guerre mondiale ne touchera par la région du Proche-Orient, ce qui permettra aux Arabes, déjà révoltés contre les Turcs, de commencer à préparer la résistance contre l’occupant ottoman sous la direction du shérif Hussein, dont le but final est de restaurer le royaume arabe avec Damas comme capitale. Mais avec le traité de Versailles en 1919, le partage du Moyen-Orient se fait au profit de la France (Syrie et Liban) et de l’Angleterre (Irak, Palestine et Jordanie). Une nouvelle fois, le rêve d’un Royaume arabe uni, déjà formulé par Napoléon III, essuie un échec. Cette région reste aujourd’hui écartelée entre un État arabe de plus en plus improbable et un État juif qui se développe et se réalise malgré une forte opposition.

Antoine-Joseph Assaf raconte l’histoire des bédouins de l’Arabie et de l’alliance de la famille du prince Mohammed Ibn Saoud avec Abdel Wahhab : avec la conquête en 1773 de Ryad par Abdel Wahhab et la conquête de la Mecque en 1803, c’est la naissance du royaume d’Arabie saoudite, basé sur l’alliance de la rectitude de la charia avec la puissance de l’épée. Pour l’auteur, c’est dans les batailles de Mohammed qu’il faut voir l’application vivante et réelle de cette théorie passionnée et entière de la guerre telle que la vivent, 14 siècles plus tard, les fondamentalistes et les wahhabites. Elles furent menées avec l’intime conviction qu’elles rendaient justice à un Dieu insulté et bafoué. Cette force entraînante et cet élan de foi et de feu déstabiliseront et détruiront les vieux empires perse et byzantin. Son expansion fascinera l’Orient et fera peur à l’Occident. La promesse de la victoire est la promesse même du paradis. C’est en reprenant les racines de la doctrine du djihad (vécue et pratiquée par le prophète) qu’Abdel Wahhab va obliger les princes Saoud à s’en tenir aux principes politiques de la fondation du royaume d’Arabie qui ne peut vaincre ni durer sans son appui politique et sa popularité.

La confrérie des Frères musulmans est la plus importante et la plus influente du XXe siècle avec l’association djam’iyyat al-ikwân al-muslimîn. Hassan el-Banna, instituteur égyptien né sous la colonie britannique, devient imam en établit les bases. Son but est la résistance à l’occupation européenne et à sa culture ressentie comme instrument de manipulation qui conduit à la décadence, et la réinstallation du califat unificateur du peuple musulman à travers le monde entier. El-Banna séduit les pauvres des quartiers du Caire ou la confrérie s’installe. C’est à un Jihad guerrier et actif que les jeunes étudiants seront formés et non à un pacifisme spiritualiste, tel que Gandhi le pratiqua, contre les mêmes occupants britanniques.

L’idéologie nazie et le fondamentalisme musulman trouvent un terrain d’entente dans une guerre totale contre le peuple juif jusqu’à l’extermination. Le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, grand admirateur du führer s’érige en doctrinaire convaincu de la solution finale qu’il tente d’encourager en poussant tous les musulmans des Balkans à s’embrigader dans les divisions blindées de l’armée allemande. Il demande l’appui d’Hitler pour la création d’un État arabe en Palestine. Ses trois ennemis : les anglais qu’il veut chasser de la Terre sainte, les Américains dont il dénonce l’impérialisme, les juifs pour lesquels il appelle tous les Arabes à les tuer et à les exterminer afin qu’un État arabe existe à nouveau sur la terre de ses ancêtres. L’islamo-fascisme, qui se développe comme un pouvoir totalitaire, aura eu plus d’avenir que le nazisme. Car obéir à un Fürher est toujours moins fort que d’obéir à la volonté de Dieu qui ordonne de se battre contre les infidèles, qu’ils soient juifs, chrétiens ou bouddhistes, dans des pays arabes qui font 50 fois la superficie de l’Allemagne.

Et malgré la division entre chiites et sunnites et les guerres fratricides qu’elle engendre, le but ultime de l’islam radical est l’instauration d’un Califat, où juifs et chrétiens seraient exclus, ou tolérés sous le joug de la loi de la dhimmitude. L’idée d’un autre holocauste n’est pas morte dans l’esprit des fanatiques, et le discours insistant d’Ahmadinejad illustrait, à l’époque où il était au pouvoir en Iran, le retour de cette tentation idéologique perverse.

La terre d’Israël est perdue après la destruction du temple de Salomon par Titus en 70, après la crucifixion du Jésus Christ, messie  pour les croyants,  et blasphémateur pour ceux qui l’ont crucifié avec  Caïphe. La Judée devient une province romaine et la plupart des juifs en exil rejoignent la Diaspora. Entre 132 et 135, l’empereur Hadrien la « paganise ». En 138 Antonin le Pieux rétablit une certaine tolérance à l’égard des juifs en leur permettant de pratiquer leur religion, ce qui leur était interdit dans les murs de la ville de la paix et ce jusqu’à l’édit de Constantin en avril 313 qui établit la liberté de culte de toute divinité dans le ciel. L’esprit du sionisme évolue à travers les époques, longtemps hanté par une sorte de messianisme forcé qui fit surgir de faux prophètes. Au XXe siècle, les pogroms de l’Est en Russie et en Pologne deviennent tellement fréquents que le mouvement sioniste s’organise sous la pression du journaliste et écrivain austro-hongrois Théodore Herzl. À la veille de la Première Guerre mondiale, tout est prêt pour que ce qui se tramait de manière officieuse éclate au grand jour sous les yeux ébahis du monde entier.

Les raisons de l’échec des Arabes sont multiples, mais la situation économique du Royaume-Uni pendant la premièreguerre mondiale est déterminante. Pour ses efforts de guerre en Europe, l’aide financière dont a besoin le Royaume-Uni provient en grande partie du réseau international des banques juives, créant une dépendance qui affaiblit l’alliance traditionnelle des Anglais avec les Arabes. Ce financement renforce aussi les visées stratégiques proche-orientales des Anglais, d’autant que les États-Unis s’apprêtent à s’engager dans la guerre pour faire face au danger que représentent les sous-marins allemands. Le rôle des populations juives de l’Est dans cette guerre est primordial dans la mesure où l’Angleterre espérait attirer des combattants juifs, sauvés de la révolution bolchevique, dans les rangs de son armée. Une armée qui a d’ailleurs largement bénéficié de l’invention de la synthèse de l’acétone. Cette invention majeure pour les explosifs est le résultat des recherches d’un grand savant juif Chaim Weizmann, membre fondateur de l’Agence juive avec Théodore Herzl et futur premier président de l’État d’Israël.

 L’auteur revient sur les premiers conflits israélo-arabes avec :

  • la guerre israélo-arabe (1948 – 1949) : après la déclaration de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, le conseil de la Ligue arabe refuse le vote de l’ONU et n’accepte pas le partage la terre de Palestine avec les Juifs. Ces derniers organisent une défense, contre les Anglais et les Arabes, en créant les milices de la Haganah et de l’Irgoun et un système d’immigration illégale, la Haapala, pour lutter contre les interdictions faites au retour. Elle se termine par la résistance d’Israël, sa conquête de Nazareth, de la Galilée occidentale, du Néguev, de Beer-Sheva et la déroute de l’armée égyptienne, comme au temps des pharaons ;
  • la guerre de Suez (1956) faisant suite à la nationalisation du canal éponyme le 26 janvier 1956 par le colonel Abdel Nasser. Cette guerre suscite une alliance franco-britannique en faveur d’Israël (occupation de Port-Saïd, Ismaïlia et Suez). Seule l’intervention des États-Unis et de l’URSS permettra d’y mettre fin en mars 1957. Ce conflit met en lumière l’importance de l’alliance objective qui relie les grandes puissances, anciennes et nouvelles, à l’État d’Israël et à ses chefs, David Ben Gourion et Golda Meir ;
  • la guerre de six jours (1967) : Israël détruit l’aviation égyptienne,  déjouant l’alliance militaire de trois pays arabes : l’Égypte, la Jordanie et la Syrie. Ben Gourion met en lumière les divisions politiques et le désordre de la défense des Arabes : « Si nous sommes arrivés là où nous sommes, c’est par la faute des Arabes eux-mêmes ». La guerre des six jours laisse des blessures profondes ainsi que des territoires occupés qu’Israël n’acceptera plus jamais de céder ou de restituer.
  • La guerre du Kippour (1973) : ce sont les armées arabes humiliés, surtout celles de l’Égypte et de la Syrie qui vont la préparer avec les nouvelles armes soviétiques, avions de chasse et missiles, acquise dans le plus grand secret. Revanche attendue bien préparée qui arrivera par surprise pour les Juifs qui célébrent ce jour-là (6 octobre) la fête de Yom Kippour.

Après Nasser le populiste, vient Sadate et son courage dans la construction de la paix avec ceux qui furent les amis mortels des pharaons. Désormais, au Proche-Orient, les efforts iront toujours de pair avec la préparation constante de la guerre. Si vis Pacem Parabellum... Henry Kissinger favorise le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Égypte en novembre 1973. Mais la réaction de la résistance palestinienne est sanglante avec l’attentat perpétré sur le territoire israélien le 11 mars 1978. En réaction, Tsahal   pénètre le sol libanais par les frontières du sud d’où était parti l’attentat et y stationne pendant quatre mois.  S’ensuit un durcissement sur les territoires occupés : colonisation systématique avec création de villages dits militaires, les fameux Nahal. La recherche de la paix devient nécessaire et s’impose à l’Égypte comme à Israël avec les exigences de leur allié commun, les États-Unis. Anouar el-Sadate était devenu l’un des plus proches de Gamel Abdel Nasser avec qui il partageait une vie de résistance contre l’occupation britannique en s’alliant à l’Africa Korps de Hitler, qui leur avait promis la libération de l’Égypte, comme il l’avait promis au Grand Mufti  de Jérusalem. Il participa avec l’organisation clandestine du mouvement des officiers libres au coup d’État qui mit fin au règne du roi Farouk Ier en 1952. L’auteur rappelle l’opération Badr en 1973 pour récupérer le Sinaï occupé (attaque surprise le jour du Yom Kipour, mythe de l’invincibilité de l’armée israélienne brisé, médiation américaine). Sadate est le premier président arabe qui parle à la Knesset devant Begin, Moshe Dayan et les plus endurcis des chefs historiques de l’État d’Israël. Vient ensuite l’accord signé à camp David en 1978, perçu comme une trahison suprême par les plus radicaux de la cause arabe et surtout par le mouvement islamiste qui continue à œuvrer secrètement avec les Frères musulmans au sein même du pouvoir en attendant le grand jour. Le 6 octobre 1981Sadate est assassiné par le frère d’un détenu islamiste, membres des Frères musulmans. Hosni Moubarak lui succède mais il ne reviendra pas sur les accords de camp David.  

Au Liban, la résistance palestinienne prend une tournure violente obligeant Israël à rentrer en guerre. La guerre au Liban concentre toutes les tensions de la région dont la cause majeure est la création de l’État d’Israël et ses conséquences alentours. L’histoire qui relie les deux pays remonte à Salomon qui demanda au roi de Tir (Sud-Liban) Hiram III de lui fournir le bois des cèdres du Liban pour l’aider à la construction du grand temple de Jérusalem que son père, le roi David, avait promis au Dieu d’Israël. Avec l’afflux de réfugiés, la résistance palestinienne au Liban s’organise politiquement et militairement avec l’OLP et Yasser Arafat qui inflige la guerre au peuple libanais au nom de la cause sacrée de la libération de la terre de Palestine. Son action fédère tous les mouvements radicaux de l’islam qui grandissent et se fortifient dans la clandestinité. Depuis la chute de l’Empire ottoman, les palestiniens craignent le retour des Juifs et la déclaration de l’État d’Israël en 1948 fut considéré comme la grande calamité (naqba). Yasser Arafat, né en 1929 au Caire, insiste pour se donner une crédibilité auprès d’un peuple qui a soif de racines et de mythe pour résister. Durant la seconde guerre mondiale, il s’entraîne avec des officiers allemands de la Waffen-SS et œuvre à réaliser le rêve du Grand Mufti, celui de l’unité du royaume arabe. En 1946, il rejoint le cercle du Grand Mufti et les soldats de l’armée sainte du djihad (jaysh al-Jihad al-Muqadas) formée pour résister contre La Haganah et l’Irgoun, les milices montantes sur la terre d’Israël. C’est en combattant avec le mouvement des officiers libres, dont faisait partie Sadate, qu’il se radicalise. Du Koweït, il relance son mouvement (Harakak Tahrir Filastin) et distingue progressivement sa cause de celle du panarabisme. Il veut effacer définitivement l’État d’Israël de la carte comme toutes les universités arabes les effacent déjà de leurs dictionnaires et de leurs encyclopédies. Il ne veut pas diluer la cause de la libération de la Palestine dans celle de l’unité de la nation arabe, ce qui enlèverait à la Palestine le droit d’exister comme nation indépendante. En 1968, les fedayins (guerriers sacrifiés palestiniens) attirent l’ attention en tant  que  guerriers radicaux de l’islam. En septembre 1970, Hussein donne l’ordre à son armée, appuyée secrètement par celle d’Israël, de chasser de Jordanie par la force les membres de l’OLP et leur chef. Arafat s’installe alors au Sud-Liban et grâce à des accords ambigus avec un gouvernement libanais fragile et divisé, il fait de cette terre, en quelques années, une terre non de réfugiés mais de combattants pour la grande cause de la libération de la Palestine. La résistance palestinienne prend les couleurs du terrorisme par la création d’un mouvement qui portera le nom de Septembre noir. Ce mouvement s’illustrera par des attentats célèbres comme celui des JO de Munich en 1972 contre les athlètes israélien. En 1974, les Arabes reconnaissent l’OLP comme l’organisation représentant officiellement le peuple palestinien. Arafat s’érige en véritable chef d’un État dans l’État du Liban, encouragé en cela par les accords du Caire lui permettant de se défendre contre les raids israéliens. Face à cela, les chrétiens du Liban se regroupent en  milices,  les forces libanaises issues essentiellement de l’union des milices de partis phalangistes,  du parti national libéral et des gardiens du cèdre. Leur chef, Bachir Gemayel. Israël cherche à se rapprocher des chrétiens du Liban et à en faire des alliés fidèles. La guerre du Liban provoquée en 1975 par Arafat est terrible pour le peuple libanais qui doit supporter toutes les milices radicales issues de cette guerre, côté sunnite avec les Mourabitoun, côté chiite avec le Hezbollah. Israël envahit le Liban le 2 juin 1982 et le libère de la présence de l’OLP. Arafat se réfugie en Tunisie. Le fruit de l’alliance entre Bachir Gemayel et Israël en est  la destruction presque totale des forces d’Arafat et La libération  de la moitié du Liban de l’armée syrienne qui reste stationnée à l’est du pays dans la région de la Bekaa. La stratégie d’Hafez el-Assad est d’éviter tout affrontement brutal avec Israël en attendant l’évolution des accords de paix du 17 mai 1982 entre le Liban et Israël. Ils n’aboutiront pas. Bachir Gemayel est assassiné le 14 septembre 1982 par des alliés internes à la Syrie. Il est vengé par les miliciens les plus extrémistes des phalanges libanaises qui mènent, avec leur chef Elie Hobeika, deux jours plus tard une attaque contre les camps palestiniens de Sabra et Chatila. La stupeur est mondiale : l’image d’Ariel Sharon alors à la tête de Tsahal est définitivement discréditée. De cette guerre, le Liban sort délivré de l’OLP, mais pas de l’occupation syrienne, renforcée par la suspension des accords de paix avec Israël. Tsahal reste présent au Sud- Liban jusqu’en mai 1999 avant de se retirer avec une grande majorité de l’armée du Liban-Sud (ALS). Les milices du Hezbollah, alliées des Iraniens et des Syriens, continuent à occuper cette région frontalière avec la même omnipotence que celle d’Arafat dans les villes du Sud. Le 22 septembre 1982, Amine Gemayel succéde à son frère. Puis un gouvernement provisoire est dirigé par le général Aoun qui crée une nouvelle dynamique en déclarant une guerre de libération contre l’occupation syrienne est en refusant le candidat Daher imposé par la Syrie.  Cette guerre se solde par la division des chrétiens sur la stratégie guerrière du général Aoun. Le patriarche maronite Sfeir et le chef des forces libanaises Samir Geagea n’approuvent pas sa stratégie de libération et auraient préféré engager de nouvelles négociations avec le pouvoir syrien. Les accords de Taëf sont signés en octobre1989 après la bataille sanglante de l’armée syrienne contre le palais de Baabda où se trouvait le général Aoun dans son bunker. Avec son départ en exil, la destinée des chrétiens du Liban et d’Orient prend une tournure dramatique. Avec cette nouvelle Pax Syriana, le Liban devient pour tous les mouvements islamistes radicaux chiites comme sunnites le baptême du feu et le point de départ d’une longue marche qui mènera progressivement le monde vers l’attentat retentissant du 11 septembre 2001, en passant par les guerres sanglantes et foudroyantes du Golfe, qui opposeront les Arabes entre eux, les sunnites de l’Irak de Saddam Hussein et  les chiites de l’Iran transformé par la révolution islamique de Khomeyni en 1979.

Les guerres fratricides du Golfe sont l’expression d’une division entre musulmans ainsi qu’entre Arabes et Perses. La Première guerre du Golfe (1980–1988) est issue, écrit l’auteur, d’une volonté ferme et tenace de l’Iran de radicaliser les chiites de l’Irak et même du Sud-Liban pour étendre l’influence et l’hégémonie de Téhéran face à la puissance sunnite de l’Arabie saoudite, des pays du golfe et de leurs alliés dans la région. Ce conflit s’enracine dans la haine issue des divisions lointaines des tribus de la Mecque à propos de la succession d’Ali. La première étape oppose les sunnites et les chiites de l’Irak.  La confusion pousse Saddam Hussein à envahir l’Iran en septembre 1980 par une guerre totale destinée à détruire le régime de la république islamiste d’Iran et à chasser Khomeyni du pouvoir. Une victoire lui donnerait le leadership des pays arabes, face à une Égypte neutralisée et à une Syrie devenue impopulaire (occupation du Liban, assassinats, exactions). Mais Saddam Hussein a sous-estimé son ennemi. L’implication des États-Unis dans le conflit va acculer les Iraniens à accepter la résolution de l’ONU et procéder à un cessez-le-feu à partir d’août 1988. Bilan :

  • l’Iran essuie de fortes pertes humaines, matérielles et financières ;
  • l’Irak sombre dans des dettes auprès des pays du golfe et de l’Arabie saoudite qui ont financé sa guerre pour ne pas affaiblir les sunnites d’ Irak face à la plus grande puissance islamique chiite au monde

L’auteur pointe la résurgence d’un conflit perso-arabe remontant à la conquête de la Qadisiyya et à la bataille de Kerbala du 10 mai 680 avec la perte et la décapitation du petit-fils du prophète, Hussein Ibn Ali  dont l’épouse Shahr Banu  était la fille de Yazdgard III,  dernier empereur sassanide de Perse.

La Deuxième guerre du Golfe (1990-1991) oppose les États arabes suunites entre eux.  Leurs alliés sont ébahis et leurs ennemis chiites ravis observant avec prudence l’embrasement du Koweït. Le Koweït, affranchi d’un protectorat britannique datant de 1899, accède à l’indépendance en 1961, doté de frontières que son voisin l’Irak n’a jamais reconnues officiellement. L’invasion de Saddam Hussein provoque l’intervention d’une coalition occidentale dirigée par les États-Unis avec l’alliance de la France de Mitterrand, et celle plus paradoxale et poignante de la Syrie, frère ennemi baasiste de l’Irak. Le 26 février 1991 avec la libération de koweit City, les soldats américains sont accueillis en grands libérateurs, ceux-là même que les wahhabites considèrent comme des infidèles et des incroyants. Soumis, Saddam Hussein ne peut plus gouverner que la région sunnite de son pays, qu’il dominait avant entièrement.

Les pays arabes sortent, écrit l’auteur, endeuillés et divisés pour plusieurs décennies qui verront grandir une jeunesse formée dans le secret du désert aride et des montagnes afghanes, pour incarner l’image du combattant de l’islam radical, pour rendre à son pays son antique prestige, pour restaurer le califat.

 

L’attentat du 11 septembre 2001 ramène le monde à une opposition Orient-Occident. Ben Laden demandait le retrait des soldats américains de la Terre sainte. Sa haine des croisés et infidèles remonte à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979. Pendant dix ans, des combattants (moudjahidines) s’opposeront avec obstination. Ben Laden ne manque pas de mentionner l’aide américaine à la résistance afghane contre les Russes. Pour se libérer de la globalisation, le musulman doit chercher une autre vision du monde qui ne peut se réaliser que dans les principes de la charia islamique. Le retour du peuple juif en Terre sainte a perturbé le cours de l’histoire des pays arabes qui essayaient de renaître après la chute de l’empire ottoman. Pour Antoine-Joseph Assaf, de ces guerres de revanches voulues par un islam radical – qui ne reflète pas l’opinion des musulmans qui recherchent modernité et modération -, le monde arabe ne sortira pas grandi de ses revendications mais plutôt humilié et toujours plus soumis à la domination militaire et économique de la puissance américaine. De cette incompréhension va naître une nouvelle posture des « guerriers de Dieu » avec leur folie meurtrière. La revanche (acte de résistance légitime) des peuples arabes est perçue comme un acte de terrorisme par l’Occident. La revanche des Américains est perçue comme une guerre du bien contre le mal. Les jeunes islamistes répètent l’appel à la haine, lancé par Ben Laden et Zarqawi contre « les Américains, les Juifs et les croisés ». Avec le 11 septembre, l’islam radical s’engage dans une voie de non-retour. La riposte des États-Unis, avec l’aide de pays du monde libre, s’annonce forte et vaste.

Avec le succès de l’opération Enduring Freedom, les Américains chassent les talibans et installent Hamid Karzaï leur protégé à la tête d’un gouvernement provisoire. Mais au final, personne n’arrive à contrôler le pays et soumettre les talibans. La victoire totale est impossible. La guerre s’enlise faisant toujours plus de morts.b Le 2 mai 2011, Ben Laden est exécuté à Abbottabad au Pakistan. Si l’attaque de l’Afghanistan fut approuvée, celle de l’Irak du 20 mars 2003 fut contestée à l’échelle mondiale. Saddam Hussein est capturé, livré aux chiites, pendu par eux le 30 décembre 2006. S’ensuit une guerre civile entre chiites revenchards et sunnites orphelins de leur chef.

La troisième guerre du Golfe menée par GW Bush apparaît plus comme la vengeance d’un fils pour son père que comme celle d’une grande nation blessée. L’argument est l’achèvement du processus de désarmement de l’Irak et les soi-disant armes de destruction massive de Saddam Hussein. La vraie raison de cette guerre est que les Américains ne peuvent tolérer qu’un dictateur maîtrise plus de 60 % de la réserve mondiale de pétrole. L’Irak sombre dans la guerre civile avec la formation de milices sunnites et chiites. Avec la domination d’un gouvernement chiite avec Nouri al-Maliki, les sunnites se constituent en milices d’al-Qaïda, armées et soutenues secrètement par le Qatar et l’Arabie saoudite. l’État islamique émane  de ces formations.

Une nouvelle coalition mondiale se forme et la résolution1559 de l’ONU du 2 septembre 2004 stipule le retrait total et définitif de l’armée syrienne du territoire libanais, le désarmement de toutes les milices et le renforcement de la FINUL. L’armée syrienne quitte le Liban deux mois plus tard. Après un exil de plus de 14 ans, le général Aoun revient le 7 mai 2005 à Beyrouth. Mais l’islam radical y revient en force avec le Hezbollah, financé par l’Iran, qui s’illustre en affrontant l’armée israélienne dans une guerre qui durera un mois à l’été 2006. La France de Jacques Chirac enverra même ses navires surveiller les côtes libanaises et veiller à l’évacuation de la communauté franco-libanaise. Avec l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri le 14 février 2005 entre ceux qui accusent le Syrie (sunnites, druzes, chrétiens) et ceux qui la défendent (pro-syrien chiites de Amal et du Hezbollah), le Liban est divisé. La Syrie déclare à l’ONU son intention de se retirer du Liban, après 29 ans d’occupation. Saad Hariri, fils de Rafic, gagne les législatives avec une coalition anti-syrienne. Le général Aoun signe le 6 février avec le chef du Hezbollah un « document d’entente nationale ».

Un nouveau conflit israélo-libanais en juillet 2005 se caractérise par des bombardements d’une grande violence sur les infrastructures du Liban. Israël et son armée puissante et invincible n’arrive plus à maîtriser cette guerre face à des miliciens invisibles. L’intervention internationale s’attache à préserver l’intégrité du Liban. De cette guerre, la milice chiite du Hezbollah et leur chef Nasrallah sortent moralement vainqueurs. Après le départ du président libanais Michel Sleiman, deux candidats s’opposent, le général Aoun allié du clan chiite épaulé par l’Iran, et Samir Geagea allié du clan sunnite de Saad Hariri et que l’Arabie saoudite défend ouvertement.

L’auteur en vient ensuite à l’éclosion d’un nouveau printemps arabe, en Tunisie d’abord, puis dans les pays voisins au Maroc, en Algérie, en Libye où la marine française intervient. Kadhafi est assassiné le 22 octobre 2011. L’Occident est stupéfait quand, le 23 octobre 2011, Moustapha Abdel Jalil, chef du Conseil national de transition (CNT) annonce la libération de la Libye après huit mois de guerre et présente la future constitution fondée sur l’esprit de la charia islamique. En Egypte, Hosni Moubarak démissionne et on assiste au retour des Frères musulmans. Au Yémen, le président Ali Abdallah Saleh quitte ses fonctions laissant sa place en février 2012 au vice-président Abd Rabo Mansour Hadi mais le mouvement chiite d’opposition mené par les houthis cherche à renverser le pouvoir. Seule l’Arabie saoudite se déclare ouvertement contre ce régime houthi et procède à des bombardements aériens pour défendre le pouvoir sunnite. À Bahreïn, malgré le soulèvement de l’opposition chiite avec l’appui implicite de l’Iran dans cet ancien archipel de l’empire perse, la dynastie régnante est sauvegardée grâce à l’appui du roi d’Arabie saoudite.

L’auteur relève trois évidences.  Même si cette cascade de révoltes correspond à une période historique d’éveil des populations arabes, elle reste commandée matériellement et financièrement par la volonté des États-Unis. Ensuite, les dirigeants, égyptien Abdel Fattah al-Sissi, et tunisien Rachid Ammar, ont une complicité naturelle avec le Pentagone. La constance stratégique pour Washington au Proche-Orient reste la protection d’Israël. Depuis les accords de Camp David en 1978, L’Egypte est devenue le fer de lance de tous les accords de paix futurs entre les pays arabes et Israël. Cette alliance est renforcée par des aides matérielles américaines en milliards de dollars. Enfin, les révoltes arabes et leurs chefs ont été financés par les agents de la CIA, le but ultime étant la stabilisation et la sécurité de la région. L’auteur analyse ensuite la stratégie des grandes puissances…

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