Corridor économique Pakistan-Chine, CEPC

Exclusif : le Plan directeur du CEPC révélé.

Des détails provenant des documents originaux établissant le Plan à long terme du CEPC sont divulgués au public pour la première fois.

Dawn, Khurram Husain, 21 juin 2017

Dawn est le plus vieux journal pakistanais – lancé par le fondateur pakistanais Mohammad Ali Jinnah en 1941, à Delhi avant la partition. Il subit actuellement une pression énorme pour sa politique d’indépendance, qu’il essaie de maintenir contre toute attente.

https://www.dawn.com/news/1333101/exclusive-cpec-master-Plan-revealed

Version française : Rémi Perelman, Asie21

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  • Le Plan donne un rôle éminent à l’agriculture
  • Système de surveillance sophistiqué de la population
  • Entrée sans visa pour les ressortissants chinois

Les vannes sont sur le point de s’ouvrir. Le Premier ministre Nawaz Sharif est arrivé à Pékin ce week-end pour participer au sommet de One Belt, One Road, et le premier point de son ordre du jour est de finaliser le Plan à long terme pour le corridor économique sino-pakistanais.

Dawn a acquis l’accès exclusif au document original dont les détails sont divulgués publiquement ici pour la première fois. Le Plan expose avec précision la réalité des intentions et priorités chinoises au Pakistan au cours de la prochaine décennie et demie, détails qui n’ont jamais été discutés en public jusqu’ici.

Le gouvernement dispose de deux versions du Plan à long terme.

La version complète, non diffusée, a été élaborée par la Banque de développement de Chine à la demande de la Commission de réforme du développement national de la République populaire de Chine. Elle compte 231 pages. Elle fait l’objet des commentaires er citations  du présent article du Dawn.

La version abrégée  est datée de février 2017. Elle contient seulement de larges descriptions brossées à grands traits des divers « domaines de coopération » mais ne comporte aucun détail. Elle a été rédigée sur 31 pages pour être distribuée aux gouvernements provinciaux afin d’obtenir leur assentiment. Le seul gouvernement provincial qui a reçu la version complète du Plan est le gouvernement du Pendjab.

Par exemple, des milliers d’acres de terres agricoles seront loués à des entreprises chinoises pour mettre en place des « projets de démonstration » dans des domaines allant des variétés de semences à la technologie d’irrigation. Un système complet de surveillance pour garantir le respect de la loi et le maintien de l’ordre sera construit dans les villes, de Peshawar à Karachi, avec des enregistrements vidéo 24 heures sur 24 sur les routes et les marchés les plus fréquentés. Une structure primaire de fibre optique sera construite dans le pays et destiné, non seulement au trafic Internet, mais aussi à la diffusion terrestre de la télévision diffusée, qui coopérera avec les médias chinois dans la « diffusion de la culture chinoise ».

Le Plan prévoit une insertion profonde et généralisée dans la plupart des secteurs de l’économie pakistanaise ainsi que de sa société par les entreprises et la culture chinoises. Sa portée n’a pas de précédent dans l’histoire du Pakistan en ce qui concerne l’ouverture de l’économie nationale à la participation d’entreprises étrangères. Dans certaines régions, le Plan vise à renforcer la présence déjà établie sur le marché par les entreprises chinoises, par exemple Haier dans les appareils ménagers, ChinaMobile et Huawei dans les télécommunications et China Metallurgical Group Corporation (MCC) dans les mines et les minéraux.

Pour d’autres activités, tels que celles concernant le textile et les vêtements, le ciment et les matériaux de construction, les engrais et les technologies agricoles (entre autres), il appelle à la construction d’infrastructures spécifiques et à un environnement politique favorable pour faciliter leur installation dans le pays. La création de parcs industriels, ou zones économiques spéciales, qui « doivent répondre à des conditions spécifiées, y compris la disponibilité de l’eau … une infrastructure parfaite, un approvisionnement énergétique suffisant et la capacité de l’énergie libre-service », en est un élément clé.

Contrairement à l’image acquise du CEPC comme gigantesque entreprise de transport et d’énergie, impliquant des centrales électriques et des autoroutes, l’objectif principal du Plan réside dans l’agriculture. Le Plan acquiert sa spécificité majeure avec l’agriculture, autour de laquelle en réalité se définissent la plupart des plans et des projets nécessaires à sa mise en œuvre.

Emprise géographique

Le Plan stipule d’emblée que le corridor « s’étend sur la région autonome ouïgoure du Xinjiang et sur l’ensemble du Pakistan ». Son objectif principal est de connecter le sud du Xinjiang avec le Pakistan. Il est divisé en une « zone centrale » et ce que le Plan appelle les « zones de rayonnement » ou d’influence : ces territoires où se propagera l’influence du travail effectué dans la zone centrale.

La zone centrale comprend, en Chine « Kachgar, Tumshuq (ou Tumxuk), la préfecture autonome de Kizilsu Kirghiz du Xinjiang avec Atushi (ou Artux) et Akto », et au Pakistan, « la majeure partie du territoire de la capitale d’Islamabad, du Pendjab et du Sindh, et quelques zones du Gilgit-Baltistan, Khyber Pukhtunkhwa et Baloutchistan ». Il a « une ceinture, trois passages, et deux axes et cinq zones fonctionnelles », où la ceinture est « la bande par où passe un important trafic commercial, tant en Chine qu’au Pakistan ».

L’agriculture

Pour l’agriculture le Plan décrit un engagement qui s’étend d’un bout à l’autre de la chaîne d’approvisionnement. De la fourniture de semences et d’autres intrants, comme les engrais, le crédit et les pesticides, les entreprises chinoises exploiteront également leurs propres fermes, des installations de transformation pour les fruits et légumes et des céréales. Les entreprises de logistique exploiteront un vaste système de stockage et de transport des produits agraires.

Il identifie les opportunités d’entrée des entreprises chinoises tirant parti des innombrables dysfonctionnements qui affectent le secteur agricole pakistanais. Il est par exemple notés « qu’en raison du manque de logistique et d’installations de traitement de la chaîne du froid, 50 % des produits agricoles se détériorent pendant la récolte et le transport ».

Les entreprises agricoles chinoises se verront offrir l’aide de leur gouvernement à un niveau exceptionnel. Elles sont d’ores et déjà encouragées à « tirer le meilleur parti du capital et des prêts » de divers ministères du gouvernement chinois ainsi que de la Banque de développement de Chine. Le Plan propose également de maintenir un mécanisme qui « aidera les entreprises agricoles chinoises à contacter les hauts représentants du gouvernement du Pakistan et de Chine ».

Le gouvernement chinois « s’efforcera activement d’utiliser les fonds nationaux spéciaux comme intérêts de réduction pour les prêts de l’investissement étranger agricole ». À plus long terme, le risque financier sera réparti par le biais de « nouveaux types de financement tels que les prêts consortiaux, les co-investissements et les émissions conjointes de dette, la levée de fonds via des canaux multiples et la décentralisation des risques financiers ».

Le plan propose faire appel au Xinjiang Production and Construction Corps (encadré) pour la mécanisation et les techniques scientifiques d’élevage, le développement de variétés hybrides et l’irrigation de précision au Pakistan. La principale opportunité du CEPC est d’aider la préfecture de Kachgar, un territoire de la grande zone autonome du Xinjiang, qui souffre d’une pauvreté de 50 % et de grandes distances qui rendent difficile les relations avec les grands marchés, afin de promouvoir le développement. Dans cette préfecture, la production totale de l’agriculture, la sylviculture, l’élevage et la pêche s’élevait à un peu plus de 5 milliards de dollars en 2012 et sa population était inférieure à 4 millions en 2010, à peine un marché mais des gains exceptionnels pour le Pakistan.

Cependant, pour les Chinois, c’est le principal moteur de l’investissement dans l’agriculture pakistanaise, en plus des nombreuses opportunités rentables qui peuvent s’ouvrir pour que leurs entreprises puissent opérer sur le marché local. Le Plan fait une référence à l’exportation de produits agricoles via les ports, mais l’essentiel de l’accent est mis sur les opportunités pour la préfecture de Kachgar et le Xinjiang Production and Construction Corps, associés aux opportunités d’un engagement rentable sur le marché domestique.

Le Plan évoque ces engagements avec un luxe de détails. Dix domaines clés pour l’engagement sont identifiés avec dix-sept projets spécifiques. Ils comprennent la construction d’une usine d’engrais NPK comme point de départ « avec une production annuelle de 800 000 tonnes ». Les entreprises seront amenées à louer de l’outillage agricole, tels que des tracteurs, des équipements efficaces de protection des végétaux, des équipements de pompes économes en énergie, des équipements de fertilisation de précision et des machines pour la plantation.

 

Xinjiang Production and Construction Corps

Le Xinjiang Production and Construction Corps, Corps de production et de construction du Xinjiang, appelé plus couramment Bingtuan, est une organisation gouvernementale économique et semi-militaire dont le quartier général se situe à Ürümqi, spécifique à la région autonome du Xinjiang. Il est issu du système traditionnel chinois du tuntian, qui consistait à installer des unités militaires dans les zones frontalières où elles avaient pour ordre de cultiver les terres conquises. Outre le fait de fournir des vivres à l’armée, le tuntian opérait la conquête économique des marges de l’empire par l’agriculture.

Le Bingtuan possède de facto l’autorité administrative sur les villes de taille moyenne ainsi que sur des villages et des fermes dans l’ensemble du Xinjiang. Il possède sa propre structure administrative, et remplit des fonctions normalement dévolues au gouvernement, comme la santé ou l’éducation, dans les zones sous sa juridiction. Le gouvernement de la région autonome du Xinjiang n’interfère généralement pas avec le Bingtuan dans l’administration de ces zones. En 2002, la population du Bingtuan était de 2 500 000 personnes (88 % d’ethnie Han).

Les objectifs déclarés du Bingtuan sont le développement des régions frontalières, la promotion du développement économique, l’assurance de la stabilité sociale et de l’harmonie ethnique, et la lutte contre le mouvement indépendantiste du Turkestan oriental. Au cours de ses 50 années d’existence, le Bingtuan a construit des fermes, des bourgades et des villes, et installé au Xinjiang des millions de migrants, principalement des Hans. Il est est glorifié en Chine par ses partisans comme pierre angulaire de la stabilité et de la prospérité dans une région qui sinon serait sujette à de graves troubles. À l’inverse, il est stigmatisé comme un instrument majeur de la colonisation et de la sinisation par les soutiens à l’indépendance du Turkestan oriental.

Ajout venu de Wikipedia

Les usines de traitement de la viande à Sukkur sont prévues avec une production annuelle de 200 000 tonnes par an et deux usines de démonstration traitant 200 000 tonnes de lait par an. En ce qui concerne les cultures, des projets de démonstration de plus de 6 500 acres [2 600 ha] seront mis en place pour les semences à haut rendement et l’irrigation, principalement au Pendjab. Dans le transport et le stockage, le Plan vise à construire « un réseau logistique national et à élargir le réseau stockage et de distribution entre les grandes villes du Pakistan » en mettant l’accent sur les céréales, les légumes et les fruits. Les centres de stockage seront construits d’abord à Islamabad et Gwadar dans la première phase, puis à Karachi, Lahore et une autre à Gwadar dans la deuxième phase, et entre 2026-2030, Karachi, Lahore et Peshawar verront chacune un autre centre de stockage.

Les villes d’Asadabad, Islamabad, Lahore et Gwadar seront pourvues d’une usine de transformation de légumes, avec une production annuelle de 20 000 tonnes, une usine de fabrication de jus de fruits et de confitures de 10 000 tonnes et une usine de transformation de céréales d’un million de tonnes. Une usine de transformation du coton est également prévue initialement, avec une production de 100 000 tonnes par an.

« Nous transmettrons la pratique des techniques avancées de plantation et d’élevage aux paysans propriétaires ou aux fermiers par l’acquisition de terres par le gouvernement, la location aux entreprises à capitaux chinois et la construction de bâtiments et de centres d’élevage » est-il dit à propos du plan de production de semences de qualité supérieure.

Dans chaque domaine, les entreprises chinoises joueront le rôle principal. « Les entreprises à capitaux chinois établiront des usines pour produire des engrais, des pesticides, des vaccins et des aliments », est-il dit à propos de la production de d’intrants agricoles.

« Les entreprises à capitaux chinois vont, sous la forme de joint-ventures avec des entreprises pakistanaises, construire un système d’entreposage à trois niveaux (entrepôt d’achat et de stockage, entrepôt de transit et entrepôt portuaire) ».

Puis le Plan évoque le commerce : « Nous nous engagerons activement à cultiver les relations avec les pays environnants afin d’améliorer l’importation et l’exportation des produits agricoles pakistanais et accélérer le commerce des produits agricoles. Au début, nous créerons progressivement pour le Pakistan une image et une réputation favorables en nous appuyant sur la demande intérieure. »

Par endroits, le Plan semble s’adresser aux investisseurs en Chine. Il indique que les entreprises chinoises devraient rechercher une « coopération coordonnée avec les entreprises pakistanaises » et « maintenir une concurrence ordonnée et une coordination mutuelle ». Il leur conseille de faire des efforts pour « rechercher des partenaires stratégiques puissants pour regrouper les intérêts au Pakistan ».

En matière de sécurité il est conseillé « de respecter les religions et les coutumes de la population locale, de traiter les gens comme des égaux et de vivre en harmonie ». On leur conseille également « d’augmenter l’emploi local et de contribuer à la société locale par le biais de la sous-traitance et des consortiums. » Dans la dernière phrase du chapitre sur l’agriculture, le gouvernement chinois « renforcera la coopération en matière de sécurité avec les pays importants, les régions et les organisations internationales, pour prévenir et réprimer ensemble les actes terroristes qui mettent en danger la sécurité des entreprises chinoises d’outre-mer et de leur personnel ».

Industrie

Pour l’industrie, le Plan procède à la tripartition du pays : zone ouest et nord-ouest, centrale et sud. À chaque zone est affectée une orientation prioritaire en vue de recevoir les industries spécifiques dans les parcs industriels désignés, dont seulement quelques-uns sont réellement mentionnés.

La zone ouest et nord-ouest, couvrant la majeure partie du Baloutchistan et de la province septentrionale du Khyber Pakhtunkhwa, est marquée pour l’extraction minière, avec un potentiel en minerai de chrome, les réserves d’or représentent un potentiel considérable mais sont encore en phase d’exploration et les diamants. Un produit minéral notable dont parle le Plan est le marbre. Déjà, la Chine est le plus grand acheteur de marbre traité au Pakistan, avec près de 80 000 tonnes par an. Le Plan vise à installer 12 sites de traitement de marbre et de granit dans des endroits allant de Gilgit et Kohistan au nord, à Khuzdar au sud.

La zone centrale est marquée pour les textiles, les appareils électroménagers et le ciment. Quatre emplacements distincts sont indiqués pour les futures complexes cimentiers : Daudkhel, Khushab, Esakhel et Mianwali. Le cas du ciment est intéressant, car le Plan note que le Pakistan a une capacité excédentaire en ciment, puis poursuit en disant « qu ‘à l’avenir, il y aura un plus grand espace de coopération pour la Chine pour investir dans la transformation du ciment ».

Pour la zone sud, le Plan recommande que « le Pakistan développe la pétrochimie, la sidérurgie, l’industrie portuaire, les machines d’ingénierie et le commerce, les pièces auto et auto (assemblage) » en raison de la proximité de Karachi et de ses ports. C’est la seule partie du rapport où l’industrie automobile est mentionnée de façon vague, ce qui est un peu surprenant parce que l’industrie est l’une des plus dynamiques au pays. Le silence pourrait être dû à un manque d’intérêt de la part des Chinois pour acquérir des participations, ou à la prudence diplomatique puisque le secteur est, à l’heure actuelle, entièrement dominé par les entreprises japonaises (Toyota, Honda et Suzuki).

Gwadar, également dans la zone sud, « se positionne comme l’arrière-pays reliant directement le Baloutchistan et l’Afghanistan ». En tant que port du CEPC, le Plan recommande qu’elle soit intégrée dans « une base d’industries lourdes et chimiques, telles que le fer et l’acier, la pétrochimie ». Il est noté que « certaines entreprises chinoises ont commencé à investir et à construire à Gwadar » profitant de « sa position géographique privilégiée et ses coûts d’expédition peu élevés pour importer du pétrole brut du Moyen-Orient, du minerai de fer et du charbon à coke d’Afrique du Sud et de Nouvelle Zélande » pour l’approvisionnement du marché local ainsi que de l’Asie du Sud et du Moyen-Orient après traitement au port.”

Le Plan montre un grand intérêt pour l’industrie textile en particulier, mais un intérêt porté principalement sur les fils et les tissus grossiers. La raison, comme le Plan l’indique, est qu’au Xinjiang, l’industrie textile a déjà atteint des niveaux de productivité plus élevés. Par conséquent, « la Chine peut tirer le meilleur parti du marché pakistanais en matières premières bon marché pour développer l’industrie du textile et de l’habillement et aider à absorber les surplus de main-d’œuvre à Kachgar ». La stratégie qui en découle est décrite de manière énigmatique comme le principe de « l’introduction de capitaux étrangers et l’établissement de connexions nationales comme un croisement de l’Ouest et de l’Est ».

Des politiques préférentielles seront nécessaires pour attirer les entreprises dans les nouveaux parcs industriels prévus dans le Plan. Les zones où ces préférences doivent être étendues ont énumérées dans le Plan comme « terres, impôts, logistique et services » ainsi que le prix des terrains, « impôt sur le revenu des entreprises, réduction tarifaire et exemption et taux de la taxe de vente ».

Fibre optique et surveillance

Un système complet de surveillance et de surveillance sera présent dans les villes, de Peshawar à Karachi, avec des enregistrements vidéo 24 heures sur 24 sur les routes et les marchés pour garantir le respect de la loi et le maintien de l’ordre.

Une des plus anciennes priorités du gouvernement chinois depuis le début des négociations sur le CEPC est la connectivité en fibre optique entre la Chine et le Pakistan. Un protocole d’accord pour un tel lien a été signé en juillet 2013, à une époque où le CEPC semblait être à peine plus qu’un lien routier entre Kachgar et Gwadar.

La Chine a plusieurs raisons de vouloir une liaison terrestre par fibre optique avec le Pakistan, y compris son propre nombre limité de stations d’atterrissage sous-marines et d’échanges de points d’accès internationaux qui peuvent constituer un goulot d’étranglement pour la croissance du trafic par Internet. Cela est particulièrement vrai pour ses provinces de l’Ouest. « De plus, les services de télécommunication de la Chine vers l’Afrique doivent être transférés en Europe, il y a donc un certain danger caché pour la sécurité globale » indique le Plan. Le Pakistan dispose de quatre câbles sous-marins pour gérer son trafic Internet, mais une seule station d’atterrissage, ce qui augmente également les risques au regard de la sécurité.

Le Plan prévoit donc un câble terrestre à travers le col de Khunjerab à Islamabad et une station d’atterrissage sous-marine à Gwadar reliée à Sukkur. De là, l’épine dorsale reliera les deux à Islamabad, ainsi qu’à toutes les grandes villes du Pakistan.

La bande passante élargie qui va s’ouvrir permettra la diffusion terrestre de la télévision numérique HD, appelée Digital Television Terrestrial Multimedia Broadcasting (DTMB). Ceci est envisagé au-delà d’une simple contribution technologique. C’est un « transporteur de diffusion culturelle. La coopération future entre les médias chinois et pakistanais sera bénéfique pour la diffusion de la culture chinoise au Pakistan, renforçant davantage la compréhension mutuelle entre les deux peuples et l’amitié traditionnelle entre les deux pays ». Le Plan ne dit rien sur les procédures de contrôle du contenu des émissions ni n’évoque la « future coopération entre média chinois et pakistanais ».

Le Plan cherche également à créer un système électronique de surveillance et de contrôle de la frontière à Khunjerab, ainsi qu’à gérer un projet de « villes sûres ». Le projet de ville sûre déploiera des détecteurs d’explosifs et des scanners pour « couvrir les routes principales, les zones sujettes aux cas et les lieux bondés … dans les zones urbaines pour effectuer une surveillance en temps réel et un enregistrement vidéo 24 heures sur 24 ». Les signaux collectés par le système de surveillance seront transmis à un centre de commandement, mais le Plan ne dit rien sur qui va doter le centre de commandement, quel type de signes sera recherché et qui fournira la réponse.

Selon le Plan « Un projet a été établi pour construire une ville pilote sûre à Peshawar, qui fait face à une situation d’insécurité notoire dans le nord-ouest du Pakistan ». Le programme sera étendu aux grandes villes comme Islamabad, Lahore et Karachi, laissant entendre que les flux de données seront éventuellement partagés, et peut-être même enregistrés.

Tourisme et loisirs

L’un des chapitres les plus intrigants du Plan parle d’une longue ceinture de l’industrie du loisir balnéaire – qui comprendra des quais pour les yachts, des ports de croisière –, de vie nocturne, de parcs urbains, de places publiques, de théâtres, de terrains de golf et de spas, d’hôtels thermaux et de sports nautiques. La ceinture ira de Keti Bunder à Jiwani, la dernière habitation avant la frontière iranienne. Puis, quelque peu décevant, il ajoute que « plus de travail doit être fait » avant que cette vision puisse être réalisée.

Les projets sont présentés avec des détails surprenants. Par exemple, Gwadar présentera des clubs de croisière internationaux qui « fourniront aux touristes marins des chambres privées où ils s’y sentiront comme vivant dans l’océan ». Et juste au moment l’imagination opère, il ajoute que « le développement des produits de vacances côtières, de la culture islamique, de la culture historique, de la culture populaire et de la culture marine doivent être intégrés ». Apparemment, davantage de travail doit être fait ici aussi.

Pour Ormara, le Plan recommande de construire des « activités récréatives uniques » qui encourageraient aussi « les caractéristiques naturelles, excitantes, participatives, étouffantes et tentantes ». Pour Keti Bunder, il recommande des sanctuaires de la faune, un aquarium et un jardin botanique. Pour Sonmiani, à l’est de Karachi, « des projets comme une plage côtière, une voie verte élargie, une villa côtière (marina ?), un camp de voitures, un spa, une aire de jeux et une rue des fruits de mer peuvent être développés ».

C’est une vision expansive que le plan énonce, quand vers la fin, il demande ce qui suit : « Rendre le tourisme sans visa possible avec la Chine pour fournir un soutien politique plus commode aux touristes chinois au Pakistan » Il n’y a aucune mention d’un arrangement réciproque pour des ressortissants pakistanais visitant la Chine.

Finance et risques

Dans tout Plan, la question des ressources financières est toujours cruciale. Le Plan à long terme élaboré par la Banque de développement de la Chine est à son plus fort lorsqu’il est question du secteur financier pakistanais, du marché de la dette publique, de la profondeur de la banque commerciale et de la santé globale du système financier. Il est loin des sentiments lorsqu’il évalue les risques encourus par les investissements à long terme dans l’économie pakistanaise.

Le principal risque identifié par le Plan est de nature politique et sécuritaire. « Il y a divers facteurs qui affectent la politique pakistanaise, tels que les partis concurrents, la religion, les tribus, les terroristes, et l’intervention occidentale » écrivent les auteurs. « La situation sécuritaire est la pire au cours des dernières années ». Le deuxième gros risque, étonnamment, est l’inflation, qui selon le Plan a atteint en moyenne 11,6 % au cours des six dernières années. « Un taux d’inflation élevé signifie une augmentation des coûts liés au projet et une baisse des profits ».

Des efforts seront faits, dit le Plan, pour fournir « des prêts gratuits et à faible taux d’intérêt au Pakistan » lorsque que les coûts du Corridor commenceront à courir. Mais ce n’est pas un déjeuner gratuit est-il souligné. « Le gouvernement fédéral et les autorités locales pakistanaises doivent également assumer une partie du financement en émettant des obligations de garantie souveraine, tout en protégeant et en améliorant la proportion et l’ampleur des fonds publics investis dans la construction du Corridor dans le budget financier ».

Il demande des garanties financières « pour fournir un soutien à l’amélioration du crédit pour le financement de grands projets d’infrastructure, renforcer la capacité de financement et protéger les intérêts des créanciers ». S’appuyant sur les évaluations du FMI, de la Banque mondiale et de la BAD, l’économie du Pakistan ne peut pas absorber beaucoup plus de 2 milliards de dollars par an en IDE sans provoquer de stress dans son économie. « Il est recommandé que l’investissement direct annuel maximum de la Chine au Pakistan soit de l’ordre de 1 milliard de dollars ». De même, il conclut que le plafond des prêts préférentiels au Pakistan devrait être de 1 milliard de dollars et celui des prêts non préférentiels de 1,5 milliard de dollars par an.

Le Plan conseille à ses propres entreprises de prendre des précautions pour protéger leurs investissements propres. « La coopération commerciale internationale avec le Pakistan devrait être menée principalement avec le soutien du gouvernement, les banques comme agents intermédiaires et les entreprises comme pilier ».  L’engagement croissant n’est pas non plus une sorte d’implication fraternelle. « La coopération avec le Pakistan dans les domaines monétaires et financiers vise à servir la stratégie diplomatique de la Chine ».

L’autre grand risque auquel le Plan fait référence est le risque de change, après avoir noté la grave faiblesse de la capacité du Pakistan à gagner des devises. Pour atténuer cela, le Plan propose de tripler le mécanisme de swap entre le RMB et la roupie pakistanaise à 30 milliards de yuans, en diversifiant les achats d’électricité au-delà du dollar dans un panier de RMB et de roupie, en puisant sur le marché des obligations en RMB de Hong Kong et diversifier les emprunts des entreprises provenant d’un large éventail de sources. Le rôle croissant du RMB dans l’économie pakistanaise est un objectif clairement énoncé des mesures proposées.

Conclusion

La mesure dans laquelle le Plan sera sérieusement suivi n’est pas claire comme, tout simplement, n’est pas évalué le niveau d’intérêt porté au Plan par les Pakistanais. Dans les zones d’intérêt définies par le Plan, il semble que l’accès à la chaîne d’approvisionnement complète de l’économie agricole soit une priorité absolue pour les Chinois. Ensuite, la capacité du secteur de la filature à répondre aux besoins en matières premières du Xinjiang et le secteur de l’habillement et de la valeur ajoutée pour absorber la technologie chinoise sont une autre priorité.

Le Plan offre au marché domestique croissant, en particulier le ciment et l’électroménager, un traitement détaillé. Enfin, grâce à une plus grande intégration financière, le Plan vise à promouvoir l’internationalisation du RMB et à diversifier les risques encourus par les entreprises chinoises entrant au Pakistan.

Gwadar reçoit une mention de passage en tant que perspective économique, principalement pour sa capacité à servir de port de sortie pour les minéraux du Baloutchistan et de l’Afghanistan et en tant que port apte à un commerce plus élargi dans la zone de l’océan Indien, de l’Afrique du Sud à la Nouvelle-Zélande. Aucune mention n’est faite à un rôle que Gwadar pourrait jouer comme transitaire pour le commerce extérieur de la Chine. A en juger par leurs conversations avec le gouvernement, il semble que les Pakistanais poussent les Chinois à commencer à travailler sur l’aéroport international de Gwadar, alors que les Chinois poussent à l’achèvement rapide de l’autoroute Eastbay Expressway.

Mais l’entrée des entreprises chinoises ne se limitera pas au seul cadre du CEPC, comme l’ont récemment démontré l’acquisition de la Bourse du Pakistan, et celle, imminente de K Electric. En fait, le CEPC n’est que l’ouverture de la porte. Ce qui arrive une fois que cette porte a été ouverte est difficile à prévoir.

Addendum : A propos du présent article intitulé « Le plan directeur du CEPC révélé » publié dans le quotidien Dawn le 15 mai 2017, Ahsan Iqbal, ministre du Plan, du Développement et de la Réforme, a déclaré que le Plan à long terme du CEPC n’était pas un document de projet ».

« C’est un document en direct et les deux parties [la Chine et le Pakistan] ont l’intention de le modifier en fonction de la nécessité et de le revoir périodiquement », a affirmé M. Iqbal.

 

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