Entre Asie et Europe, les Routes ferrées de la soie

Entre Asie et Europe, les Routes ferrées de la soie

Éléments documentaires

Rémi Perelman-Asie21, septembre 2015

 

65  4,4  63

Ces trois chiffres qui fondent le mythe eurasiatique des Routes de la soie

(relier 65 pays, 4,4 milliards d’individus soit 63 % de la population du globe)

Les esprits chagrins en ajouteront un 4e : 29 % de la production mondiale

 Près de 95 % du fret en provenance d’Asie et en direction de l’Europe emprunte actuellement la voie maritime, ce qui laisse de la place au transport terrestre à deux conditions : baisser les prix et augmenter la vitesse.

 

Plusieurs décennies d’initiatives, chronologie

(Source principale : The New Silk Road Initiatives in Central Asia, V. Fedorenko, Rethink Paper, 2013)

 1959, la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie et le Pacifique et son homologue pour l’Europe, la CEE, décident d’organiser un « Réseau du chemin de fer transasiatique » et d’en assurer la coordination

Les deux Commissions ont très tôt consacré leurs travaux au développement coordonné des réseaux routier et ferroviaire de la région. Travaux couronnés par l’officialisation des deux réseaux grâce aux Accords intergouvernementaux sur le réseau de la Route d’Asie juillet, entré en vigueur en 2005 et sur le réseau du Chemin de fer transasiatique (juin 2009, 22 signataires, dont 18 parties).  

La Conférence ministérielle sur les infrastructures (New Delhi, octobre 1996) adoptait la « Delhi Declaration on Infrastructure Development in Asia and the Pacific », lançait le Plan d’action correspondant et approuvait l’ensemble de 64 opérations constituant la phase I (1997-2001) du programme régional d’action.

Les organisations non gouvernementales suivantes participent aux réunions et travaux d’experts : l’Union internationale des chemins de fer (UIC), l’Organisation pour la coopération des chemins de fer (OSJD) Conseil de coordination des transports transsibériens (CCTT) et le Projet de chemin de fer transeuropéen (TER).

 

1993, Union européenne : TRACECA, Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia

Le projet TRACECA, impliquant l’Union européenne et 14 pays*, a été établi en 1993, par la signature du Multilateral Agreement on International Transport pour le développement des initiatives de transport entre l’UE, le Caucase et l’Asie centrale. Le secrétariat permanent de TRACECA a été établi en mars 2000 à Bakou, et inauguré le 21 février 2001 avec la participation du président d’Azerbaïdjan, Heydar Aliyev, en présence de Javier Solana, Chris Patten et Anna Lindh. Les objectifs de TRACECA étaient ceux de l’Initiative de Bakou en 2004, suivis par une conférence ministérielle à Sofia en 2006.

De nombreuses liaisons entre l’Asie et l’Europe à travers l’Asie centrale sont en cours de construction ou programmées dans le proche futur. La principale initiative européenne et le projet TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia), dont le but est de stimuler l’économie régionale en assurant des liens fiables et efficaces entre l’Europe et l’Asie.

TRACECA concerne les cinq domaines du transport : maritime, aérien, voies routières et ferrées, les infrastructures et la sécurité des transports. Le financement de TRACECA a été initialement assuré par l’UE, puis, depuis 2009, par les États membres.

* Arménie, Azerbaïdjan, Bulgarie, Géorgie, Iran, Kazakhstan, Kirghizstan, Moldavie, Ouzbékistan, Roumanie, Tadjikistan, Turkménistan, Turquie et Ukraine.

 

1996, Union européenne : la politique ferroviaire européenne (RTET – Réseau transeuropéen de transport).

Les premières orientations du programme sont adoptées en 1996, puis révisées à plusieurs reprises, notamment en 2001 et 2004. Il a pour ambitions de faciliter le développement des échanges, en particulier par l’interopérabilité complète des différents réseaux constitutifs, et permettre ainsi la création d’un véritable marché unique, d’augmenter la part modale des modes de transport les plus respectueux de l’environnement et d’accélérer l’intégration des nouveaux pays membres. Le coordinateur de RTET est Railteam, alliance d’entreprises ferroviaires européennes, créée en 2007. RTET a joué un rôle catalyseur dans le développement des lignes eurasiatiques. 

 

1998, Nations unies : Programme spécial pour les économies d’Asie centrale, SPECA

SPECA a été lancé en 1998 par la Commission économique des Nations unies pour l’Europe, CEE, et la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie et le Pacifique, CESAP, pour renforcer la coopération régionale entre les pays d’Asie centrale* en vue de faciliter et d’accélérer leur intégration au système économique global. SPECA fonctionne avec six groupes de travail (transport, commerce, eau et énergie, statistiques, « genre » et économie du développement). Le groupe transport est axé sur le développement des liens entre l’Europe et l’Asie, le groupe commerce,  sur l’introduction de « corridors électroniques » fondé sur les normes européennes en vue de faciliter l’accession des pays de l’Asie centrale à l’Organisation mondiale du commerce.

*Afghanistan, l’Azerbaïdjan et les cinq républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan).

1998, Basic Multilateral Agreement on International Transport for Development of the Europe-Caucasus-Asia, dont l’ouverture de la route méridionale de la soie empruntant la mer Caspienne est un des résultats 17 ans plus tard (voir infra, Trans-Caspian…).

 

2000, Conférence eurasiatique sur les transports », Saint-Pétersbourg

Cinq grands couloirs de développement sur le continent ont été définis lors de cette conférence

  • § le couloir Nord, via le Transsibérien, de l’Europe vers la Chine, la Corée et le Japon ;
  • § le couloir central, de l’Europe méridionale à la Chine, via la Turquie, l’Iran et l’Asie centrale ;
  • § le couloir Sud, de l’Europe méridionale vers l’Iran, puis remontant vers la Chine par le Pakistan et l’Inde ;
  • § le couloir TRACECA, d’Europe de l’Est à l’Asie centrale, par les mers Noire et Caspienne ;
  • § un couloir Nord-Sud combinant le rail et le transport maritime (Caspienne), de l’Europe du Nord à l’Inde.

 

2006, Nations unies, Commission économique des Nations unies pour l’Europe : projet de création d’un réseau de chemin de fer transasiatique 

La Fédération de Russie est membre de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe. À ce titre elle a été partie prenant de toutes les initiatives visant à développer les transports terrestres entre l’Europe et l’Extrême-Orient. Un accord intergouvernemental sur le réseau des chemins de fer transasiatique a été signé lors de la conférence sur les transports des pays de la région Asie-Pacifique qui s’est déroulée le 10-11 novembre à Pusan (Corée du sud). Son but : stimuler l’interaction multilatérale dans la région Asie-Pacifique. Le réseau comporte 4 corridors principaux. Deux d’entre eux passent par le territoire russe et concernent de près les intérêts russes. Le premier, c’est « le corridor du nord du chemin de fer transasiatique » dont le chemin de fer magistral transsibérien fait partie. Il suit la ligne Japon-Russie-Europe et il a trois branches vers le Kazakhstan et la Chine, la péninsule coréenne, la Mongolie et la Chine. Le deuxième corridor « Nord-Sud » reliera l’Europe du Nord, les pays du Caucase, de l’Asie Centrale et du Golfe persique en passant par la Russie. Les deux corridors font un grand apport à la création d’un système intégré des transports en Eurasie avec la participation de la Russie. Ces projets ont un grand intérêt pour la Russie. La participation de celle-ci permettra aux régions de Sibérie et d’Extrême-Orient de s’intégrer à l’infrastructure de l’Asie-Pacifique.

On rappellera seulement que l’Empire russe en a été le précurseur avec la Transsibérien (9 500 km), construit entre la fin du XIXe siècle et sa mise en service complète en 1916.

 

2007, Nations unies, Commission économique des Nations unies pour l’Europe 

Une réunion informelle sur les liaisons de transport Europe‑Asie s’est tenue le 12 septembre 2007, à la demande du Groupe de travail chargé d’examiner les tendances et l’économie des transports. Les coordonnateurs nationaux de 14 pays participant au projet de liaisons de transport Europe‑Asie étaient présents à la réunion, ainsi que des représentants d’autres pays membres de la CEE et du secrétariat de la CESAP. Les représentants des gouvernements des pays membres et des organisations internationales ont proposé un certain nombre de mesures destinées à renforcer les travaux sur les liaisons de transport Europe‑Asie, que le Groupe de travail a adoptées à sa session ayant fait suite à la réunion informelle. En outre, un atelier sur « Le développement des infrastructures de transport dans le contexte des liaisons de transport Europe‑Asie: expériences tirées de la mise en œuvre des projets TEM et TER », organisé en collaboration avec les bureaux des projets TEM (autoroutes) et TER (voies ferrées) de la CEE, a permis de mettre en évidence les moyens d’exploiter au mieux les expériences des deux projets pour assurer à l’avenir un développement plus cohérent des liaisons de transport Europe‑Asie.

 

2010, Organisation internationale du tourisme (World Tourism Organization, UNWTO), pour mémoire

Le premier plan d’action de la Route de la soie 2010/2011 était lancé lors de la 5e Réunion internationale sur la Route de la soie (8-9 octobre 2010, Samarkand, Ouzbékistan). Ce plan en inaugurait une série, destinée à accompagner l’augmentation du tourisme le long des Routes de la soie.

 

2008, Turquie : Initiative de Route de la soie (TurquieAsie centrale) Turkey’s « Silk Road Initiative »

Initié en 2008 par le ministère du commerce et des douanes turc, le « Silk Road Initiative » vise la simplification et l’unification des formalités douanières et la reconstruction de la route historique de la soie comme lien entres les marchés européens et asiatiques. L’Initiative est centrée sur le transport, la sécurité, la logistique et les procédures douanières aux frontières. N. B. La Turquie met l’accent sur ses liens historiques, ethniques et linguistiques avec l’Asie centrale.

N. B. La route du sud, via la Turquie et l’Iran a été longtemps délaissée en raison des sanctions de l’ONU imposées à l’Iran. On devrait en entendre reparler ainsi que d’éventuels prolongements vers l’Inde via le Pakistan si les pays concernés trouvaient un accord. Mais les obstacles sont nombreux et de taille (Turquie : construction d’un contournement du lac Van dans l’est du pays, Pakistan : écartement des rails – 1 676 mm – et traversée d’un Baloutchistan rebelle, passage de la frontière pakistano-indienne).

2011, Programme multinational de coopération économique pour l’Asie centrale (CAREC 2020)

 CAREC (Central Asia Regional Economic Cooperation) est un projet multinational entre dix pays* appuyé sur six organismes financiers multilatéraux : la Banque asiatique de développement (qui assure le secrétariat général de CAREC), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, le Fonds monétaire international, la Banque islamique de développement, le Programme des Nations unies pour le développement et la Banque mondiale. CAREC a pour objectifs le développement économique, la réduction de la pauvreté et la coopération régionale dans les domaines du commerce, du transport, et de l’énergie.

 

CAREC 2020 (A Strategic Framework for the Central Asia Regional Economic Cooperation Program 2011-2020) est un programme décennal prioritaire de 13 milliards de dollars, consacré aux transports (définition de six corridors**), notamment à la facilitation du transit frontalier, entre les six pays suivants : Azerbaïdjan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Turkménistan et Kirghizstan.

*Afghanistan, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizstan, Mongolie, Ouzbékistan, Pakistan, Chine, Tadjikistan, Turkménistan.

**  CAREC 1: Europe–East Asia

CAREC 2: Mediterranean–East Asia

CAREC 3: Russian Federation–Middle East and South Asia

CAREC 4: Russian Federation–East Asia

CAREC 5: East Asia–Middle East and South Asia

CAREC 6: Europe–Middle East and South Asia

 

2011, ÉtatsUnis : Stratégie de la nouvelle route de la soie (The United States’ « New Silk Road » Strategy)

À la suite du retrait de l’armée américaine de l’Afghanistan, les États-Unis ont voulu participer au développement d’une économie autonome dans ce pays et alentour. In 2011, l’Agence américaine pour le développement international (USAID) suscitait la mise en place d’un « Cadre de coopération régionale » dénommé « Consensus d’Almaty » rassemblant les pays d’Asie centrale. Objectifs : réduire les barrières tarifaires, développer les capacités d’exportation, aider l’Afghanistan à accéder à l’Organisation mondiale du commerce. Trois programmes d’action : Cross-Border Transport Accord (CBTA) entre l’Afghanistan, Tadjikistan et le Kazakhstan ; CASA-1000 pour l’alimentation de l’Afghanistan et du Pakistan en énergie électrique provenant des barrages du Tadjikistan et du Kirghizstan ; Transit-Trade Agreement exempter de taxes les exportations d’Afghanistan vers le Pakistan.

 

2013, Chine : « One Belt, One Road », OBOR (composantes : Silk Road Economic Belt, SREB, et Maritime Silk Road, MSR) auquel les deux « corridors économiques » que sont le China-Pakistan (CPEC) et le Bangladesh-China-India-Myanmar (BCIM) sont étroitement liés ;

À l’automne 2013 le président Xi Jinping dévoilait son intention de mettre en œuvre les projets SREB et MSR. La Chine souhaite ainsi développer son partenariat avec les pays d’Asie centrale dans le domaine commercial et en participants à la réalisation de leurs infrastructures de communications et de production et de transport d’énergie. L’Asie centrale et ses ressources en hydrocarbures en font une région privilégiée par Pékin pour développer son expansion économique et compenser ainsi la une croissance intérieure en baisse.

Le lancement officiel de la « Nouvelle route de la soie » par le président Xi Jinping a eu lieu lors de la Conférence économique de Boao (Hainan), le 28 mars 2015, avec un discours de 30 minutes, prononcé devant 16 chefs d’État ou de gouvernement et une centaine de ministres venus de 68 pays.

 N. B. Voir par ailleurs la littérature abondante produite sur les projets chinois de routes de la soie.

 

2015, Coordination Committee of Trans-Caspian international transport route, TITR (ou Caspian Transit Corridor) lié au projet turc et à TRACECA

L’ouverture de la route méridionale de la soie empruntant la mer Caspienne permettra de désenclaver plusieurs pays d’Asie centrale, dont l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Turkménistan et le nord de l’Afghanistan, tout en prolongeant les voies ferrées chinoises. La continuité de la ligne est en train de s’achever après la résolution de plusieurs éléments critiques : la modernisation des installations portuaires pour la traversée de la mer Caspienne, le tunnel entre la Géorgie et la Turquie et la jonction des réseaux géorgien et turc, le passage du Bosphore.

 

Le Baku International Sea Trade Port. C’est le nouvel ensemble de trois terminaux situé en fait à Alat, à 65 km au sud de la capitale, sur 400 hectares. Le terminal pour ferries est achevé, ceux pour tankers et conteneurs sont en chantier. Une importante plate-forme, dotée des meilleurs équipements, assurera toutes les jonctions possibles entre bateaux et trains, wagons-citernes et pipelines, conteneurs et camions. Il pourra traiter jusqu’à 25 millions de tonnes de fret par an contre les 7 millions du vieux port de Bakou (2012).

Ce nouveau port recevra les lignes partant des ports d’Aktau (où se construisent 3 nouveaux terminaux) au Kazakhstan et de Turkmenbashi au Turkménistan. Le 3 août 2015 le premier train porte-conteneurs (41 plateforme, 82 conteneurs) en provenance de la ville de Shihezi (Xinjiang Uygur Autonomous Region, Chine) parvenait via Aktau (ferry) au Baku International Sea Trade Port après un voyage 4 000 km en 6 jours. Ce qui laisse entendre qu’il aurait pu atteindre l’Europe en 14 jours (15-19 jours par la voie du nord, russe).

La liaison ferrée entre Bakou et le réseau turc via Tbilissi a été rénovée, des rails et traverses aux locomotives et à l’alimentation électrique. Le forage du tunnel de 4 km entre la Géorgie et la Turquie venant d’être achevée (l’Azerbaïdjan a prêté 400 millions d’euros à la Géorgie pour ce chantier), la ligne sera complète – en principe à la fin de 2015 – après la construction du tronçon de 105 km reliant Akhalkalaki en Géorgie et Kars en Turquie. Le trafic potentiel est estimé, malgré le ralentissement économique, entre 5,5 et 6,5 millions de tonnes par an. Les principaux partenaires de ce projet sont les compagnies ferroviaires nationales (Temir Zholy National Company du Kazakhstan, Turkish State Railways, Azerbaijan Railways, Georgian Railways) et les autorités portuaires concernées (Aktau International Sea Trade Port, Baku International Sea Trade Port, Batumi Sea Port) et la compagnie de navigation  Azerbaijan Caspian Shipping Company.

Les transports (trois milliards d’euros en 2010) sont le premier poste de dépense de l’État azéri.

Le passage sous le Bosphore achevé en octobre 2013 grâce à un tunnel ferroviaire plongeant à 60 mètres sous le Bosphore (Marmaray, pour Marmara rail), répond d’abord aux besoins du transport urbain de l’agglomération. Il peut être emprunté nuitamment par les trains de fret, la fonction urbaine étant interrompue entre 1 et 5 heures du matin.

La capacité annuelle de transport de conteneurs du Trans-Caspian international transport route, sera de 27,5 millions de tonnes sur 4 767 km dont 508 en mer Caspienne, le temps de transit étant estimé entre 6 et 7 jours.

 

2015, Groupe d’experts des liaisons de transport Europe-Asie

Lors de sa douzième session (Genève, 3 et 4 février 2015) le représentant de la république populaire de Chine a déclaré que « le développement des liaisons LTEA (Projet Liaisons de transport Europe-Asie) sert l’intérêt du Gouvernement chinois, tout particulièrement en raison du renouveau des routes de la soie entre l’Asie et l’Europe, et ce malgré le fait que le transport maritime, en tant que principal mode de transport entre ces deux continents, représente plus de 65 % de la valeur des échanges. La Chine est ainsi favorable à l’établissement de liaisons de transport terrestres (surtout par voie ferrée) avec l’Europe, bien que le transport routier soit le principal mode de transport entre la Chine et l’Asie centrale. Elle attache une haute importance à l’élimination des goulets d’étranglement sur les axes LTEA (comme celui qui existe avec le Kirghizistan). »

 

Il serait trop fastidieux de rappeler l’ensemble des conférences internationales et réunions de travail qui ont jalonné et fait progresser, peu ou prou, ce gigantesque réseau, loin d’être achevé dans sa partie orientale et sud-orientale. Ainsi, par exemple, les trois premières Conférences Internationales sur le Transport Europe-Asie qui se sont tenues à Saint-Pétersbourg en 1998, 2000 et 2003, le Séminaire sur le transport intermodal entre l’Europe et l’Asie, organisé à Kiev les 27 et 28 septembre 2004 par la CEMT* et la CEE-ONU, la 2e réunion du Groupe d’experts CEE-ONU/CESAP sur le développement des liaisons de transport Europe-Asie, tenue en novembre 2004 à Odessa, celle de l’OSCE sur les perspectives de développement du transport en transit transasiatique et eurasiatique par l’Asie centrale jusqu’en 2015 (octobre 2007, Douchanbé) ou, encore, le 7e Forum du secteur ferroviaire « partenariat stratégique 1520 » organisé par la Commission européenneà Sotchi (Russie) en juin 2012…

Lors de ce forum, qui réunissait les hauts responsables de l’administration et de compagnies ferroviaires de Russie, de la Communauté d’États indépendants, de pays européens et du Sud-Est asiatique, des parties prenantes et de grandes entreprises de transport russes et européennes, Siim Kallas, vice-président de la Commission européenne responsable des transports, déclarait :

« Le trafic de fret ferroviaire entre l’UE et ses voisins de l’Est devrait augmenter de plus de 30 % entre 2007 et 2020. Nous avons besoin de liaisons plus nombreuses et de meilleure qualité, ainsi que d’une étroite coopération avec la Russie, le troisième partenaire commercial le plus important de l’UE. Il est probable que la Russie devienne également un pays de transit conséquent entre l’UE et la Chine à la suite de la création du pont terrestre eurasien. Les discussions de ce jour ont constitué un premier pas en avant, mais il nous faut encore résoudre d’importantes questions.»

Le futur profil du transport ferroviaire dans l’ensemble de l’Eurasie a fait l’objet d’un large débat lors du forum. Les principaux sujets abordés ont été :  la réglementation et d’interopérabilité, le développement du trafic du fret sur la route transsibérienne, les frais de transport de la marchandise en transit et la coordination des projets d’infrastructure visant à supprimer les goulets d’étranglement et à permettre un transport sans discontinuité.

*CEMT : Conférence européenne des ministres des Transports (CEMT), organisation internationale relevant de l’OCDE, créée en 1953, siège à Paris. En 2006, les ministres ont décidé de créer sur cette base le Forum international des transports (FIT), qui permet l’adhésion d’un plus grand nombre de pays, au-delà des frontières de l’Europe.

 

 

L’Europe et les liaisons eurasiatiques 

Liaisons récentes entre la Chine et certains pays européens

Ouvertures ponctuelles de liaisons ferroviaires entre la Chine populaire et l’Europe

Ces performances, encore promotionnelles, pourraient devenir régulières car l’Europe est le premier partenaire commercial de la Chine (mars 2014). Les flux de transport en augmentation qui en découlent utilisent le service de hubs. Pour la plupart, ils se situent aujourd’hui aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg ou au nord de l´Allemagne.

Selon ACTE International (Atmosphère Internationale, la lettre de veille stratégique du commerce international) de juillet 2014, depuis la première liaison ferroviaire Chine-Europe mise en service en 2011, de nouvelles lignes de fret sur rail ont été développées. Il existe à ce jour deux lignes régulières reliant les provinces intérieures du Sichuan et du Chongqing au nord-est de l’Europe, en moins de 20 jours porte-à-porte : une alternative de plus en plus crédible pour les importateurs, en termes de délai comme de coût et d’efficacité commerciale…

 

Départ Chongqing (Chongqing) Chengdu (Sichuan)
Arrivée Duisburg (Allemagne) Lodz (Pologne)
Délai 16-19 jours 13-14 jours
Capacité 50 x TC40′ 40 x TC40′
Fréquence 3-4 / semaine 1-2 / semaine
Opérateur Trans Eurasia Logistics YHF Logistics

TC40′ : conteneur de 40 pieds (L : 12,192 m x l : 2,438 m x H : 2,591 m)

Chongqing-Duisbourg 

Dès 2011, le train chinois « Yuxinou » reliait Chongqing au port fluvial allemande de Duisbourg, ville de située dans le bassin industriel de la Ruhr et premier port intérieur au monde. Depuis, la fréquence atteint entre 3 et 4 départs hebdomadaires. Le trajet de 11 179 km prend entre 13et 16jours pour relier Duisbourg et Chongqing, une mégalopole de 30 millions d’habitants située dans le sud-est de la Chine, à comparer aux 36 jours nécessaires aux bateaux porte-conteneurs. La voie passe par le col d’Alataw au Kazakhstan, traverse la Russie, la Biélorussie, la Pologne et se termine à Duisbourg. Le parcours actuel passe par les villes de Chengdu, Xian, Lanzhou, Urumqi Astana, Moscou et Berlin. La ligne Chongqing-Duisbourg utilise deux routes distinctes, par la Sibérie au nord (19 jours) ou par le Kazakhstan (16 jours).

Le train Yuxinou est opéré par Trans Eurasia Logistics, une coentreprise entre la Deutsche Bahn – ou Die Bahn – (DB Schenker, pour sa filiale fret et logistique), la Kasachstan Temir Scholy, la China Railway Corporation et la Compagnie des chemins de fer russes (RZD).

Le groupe informatique américain Hewlett Packard en est l’un des utilisateurs réguliers pour acheminer en Europe ses ordinateurs produits à Chongqing, à 1 500 km des côtes, loin des grands ports commerciaux chinois et de leurs porte conteneurs géants.

La Chine est le premier partenaire commercial de l’Allemagne en Asie et l’Allemagne, le premier de la Chine en Europe. Leurs échanges commerciaux ont atteint 161,5 milliards de dollars en 2013. Sur le parcours Chongqing-Duisbourg, la quantité des produits transportés vers l’Europe excède largement celle des marchandises qui empruntent le trajet l’inverse.

Chongqing-Anvers

En mai 2011, une liaison ferroviaire a vu le jour entre le port d’Anvers et la ville de Chongqing. Le projet a été initié dès 2010 par la société de développement de la province d’Anvers conjointement avec le port, l’administration des douanes belge et la ville de Chongqing. Une liaison quotidienne est assurée dans les deux sens par l’opérateur intermodal HUPAC (opérateur logistique suisse centré sur le transport combiné, rail/route/bateau, de conteneurs), avec ses partenaires Russkaya Troyka et Eurasia Good Transport. Le périple de 11 179 km traverse l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine, la Russie, et la Mongolie. Le temps de transit est de 22 jours, délai qui devrait être ramené à 16 jours. Ces trains pourront, à terme, emporter 50 conteneurs par jours (produits de l’industrie pétrochimiques, pièces détachées automobiles, pièces électroniques, ordinateurs) et ce, 5 fois par jour.

Anvers, deuxième plus grand port d’Europe et port de transit important pour les exportations chinoises à destination du marché européen commerce traditionnellement avec la Chine. En 2014, le trafic maritime total avec la Chine était de dix millions de tonnes. De plus en plus de lignes maritimes relient Anvers aux ports chinois, dont ceux de Shanghai, Dalian, Shenzhen et Qingdao. Les entreprises chinoises ont déjà investi à Anvers, dans le port et d’autres secteurs. Plus de 3.800 professionnels maritimes chinois suivent une formation à Anvers au sein de l’APEC, Antwerp/Flanders Port Training Center. Anvers entend ratisser large, en s’imposant comme hub pour l’ensemble de l’Europe, mais aussi pour l’Afrique de l’Ouest, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud.

Chengdu-Lodz 

En mai 2013, étaient inaugurées une liaison directe et régulière de fret ferroviaire de 41 wagons entre le Chengdu Railway Container Logistics Center et la plate-forme logistique de Lodz en Pologne (liaison qui devrait être prolongée jusqu’à Thionville, voir infra). Durée du voyage : douze à quatorze jours – selon les arrêts possibles pour charger et décharger en Russie et au Kazakhstan – suivi par un post-acheminement de 48 heures par la route jusqu’en Europe de l’Ouest. L’opérateur de cette liaison ferroviaire hebdomadaire est YHF Hatrans Intermodal Logistics, une joint-venture franco-polonaise (HA Trans est la première société polonaise de logistique) adossée à deux sociétés chinoises. L´exploitant du terminal sera Eurasia Express Bridge, un groupement d´entreprises, dirigé par un informaticien français originaire d’Avignon, Sofiane Rachedi, président de YHF Intermodal Logistics et opérateur de la ligne Chengdu-Lodz depuis 2013.

Chengdu (Sichuan) est une ville en pleine croissance (grand centre pour l’industrie automobile, Volkswagen et Volvo entre autres, électronique et l’informatique) et inscrite dans le programme « Go West » du gouvernement chinois qui prévoit de déplacer l’industrialisation des côtes du pays vers les régions centrales. Sur le plan opérationnel, il s’agit d’une véritable prouesse technique : la ligne Chengdu-Lodz, 9 826 km, utilise 3 trains successifs en raison des différences d’écartement des rails entre la Chine, la Russie et l’Europe. YHF assure toute l’organisation, loue le matériel et les cheminots, les procédures douanières avant et pendant le trajet, quasiment aussi rapidement que dans l’aérien, par échange sécurisé de données informatisé, EDI, entre YHF Logistics et les systèmes informatiques des douanes des différents pays traversés. La traçabilité du déplacement est assuré par GPS et un système informatique de suivi. Chaque conteneur est constamment sous surveillance active, scellé et suivi par satellite. D’avril 2013 à avril 2014, les 45 trains du Chengdu-Europe Express ont transporté 3 704 conteneurs, soit 40 % du total des conteneurs envoyés de Chine par la voie ferrée (8 293 tonnes, valeur 156 millions de dollars). Des industriels de l’automobile, de l’informatique et de l’agroalimentaire sont déjà clients ou en passe de le devenir.

Zhengzhou-Hambourg 

En juillet 2013, un train porte-conteneurs reliait Zhengzhou(Henan), à Hambourg afin de promouvoir le commerce bilatéral. Le trajet emprunte un itinéraire traversant la Mongolie intérieure, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne sur une distance de 10 214 km parcourue en 16 à 18 jours, soit une durée de trajet inférieur d’environ 15 jours à un transport maritime entre Zhengzhou et l’Europe. Ce premier train emportait 551 conteneurs contenant 665 tonnes de marchandises (pneus, chaussures, vêtements), estimés à une valeur de 1,52 million de dollars. En 2013 six trains de ce type devaient rejoindre Hambourg pour réaliser 100 millions de dollars d’import/export.En 2014, l’ambition de la Chine populaire était d’avoir 50 trains de fret sur ce parcours, afin de déployer un volume d’échanges commerciaux de l’ordre d’un milliard de dollars.En 2015, ce train a par exemple transporté six conteneurs de composants photovoltaïques vers l’Allemagne, auparavant transportés par voies maritime ou aérienne.

Yiwu-Madrid 

En décembre 2014 un trainbloc* reliait Yiwu à Madrid en 21 jours, transportant 82 containers sur plus de 10.000 km (le Transsibérien n’en parcourt que 9 258) en traversant toute la Chine d’est en ouest, le Kazakhstan et la partie occidentale de la Russie, avant d’atteindre l’Ukraine, puis la Pologne, l’Allemagne, la France et enfin l’Espagne. L’opérateur est InterRail Services et DB Schenker Rail avec, en Espagne, Tranfesa, la filiale espagnole de DB. Les changements de bogies ont lieu à Dostyk, au Kazakhstan et à Brest, en Biélorussie. En empruntant la voie maritime, il faudrait six semaines pour relier ces deux villes, tandis qu’un transport routier polluerait trois fois plus (114 tonnes de CO2 contre 44 tonnes par le rail). L’opérateur de ces trains est Trans Eurasia Logistics, comme pour le Yuxinou. Les marchandises transportées comportaient des produits informatiques, de pièces de rechange automobile ainsi que des jouets et articles de Noël. Au retour, ce train a rapporté des marchandises espagnoles (denrées alimentaires : jambon, huile d’olive, etc.) à temps pour le Nouvel An chinois.

Yiwu est une ville industrielle de l’est de la Chine, située à 300 km au sud de Shanghai où se concentre le plus grand marché de gros du monde pour les biens de consommation, achalandé par des dizaines de milliers de fournisseurs. Ce voyage initial était destiné à tester la viabilité d’un prolongement espagnol aux convois qui circulent entre Chongqing et l’Allemagne.

*Train-bloc : train de marchandises acheminé directement de son point de départ à son point de destination, sans remaniement intermédiaire par opposition à des trains qui exigent une ou plusieurs recompositions intermédiaires.

Chine-Thionville

En juin 2015, l´Europort Thionville annonçait avoir été choisi comme terminal ferroviaire pour l’Europe de l´Ouest d´un train Chine-Europe. L´exploitant du terminal sera Eurasia Express Bridge, un groupement d´entreprises, dirigé par YHF Intermodal Logistics et opérateur de la ligne Chengdu-Lodz depuis 2013 (voir supra). Le développement de la logistique a poussé à la création de deux nouveaux terminaux. L´un à Riga, en Lettonie, pour alimenter l´Europe du nord. L´autre, trimodal (fluvial, fer, route), à Thionville, pour l´Europe de l´ouest.

Russie-Vesoul

Vesoul-Kalouga depuis 2010

Sur un trajet limité à la Russie, le logisticien Gefco a mis en place avec les opérateurs Captrain Deutschland (groupe SNCF) et le russe TransContainer une ligne régulière transportant, depuis 2010, des pièces automobiles. Le site PSA de Vesoul, en Haute-Saône, reçoit des pièces détachées SKD (semi knocked down) produites dans l’usine de PCMArus de Kalouga (160 km au sud-ouest de Moscou). PCMArus est la joint-venture de PSA et de Mitsubishi Motors Corporation. Gefco, ex-filiale logistique du groupe SNCF, passée dans le giron du russe RZD qui l’introduit dans la « zone 1520 » (écartement des voies en Russie), envisage d’autres projets entre Europe et Russie car si la Russie importe des produits manufacturés, elle exporte peu de produits “conteneurisables”, il est donc nécessaire de trouver plusieurs clients pour réunir des volumes suffisants pour remplir les conteneurs. Gefco envisage également de mettre en œuvre le transport par conteneur entre l’Europe et la Chine.

Le groupe français de transport et de logistique Heppner s’est aussi positionné sur cette solution ferroviaire transcontinentale, avec le lancement d’un nouveau service de transport ferroviaire de marchandises, développé avec son partenaire Hellmann Worldwide Logistics. Présenté comme une alternative plus économe et respectueuse de l’environnement (faible émission de CO2), aux transports aérien et maritime, elle garantit un transit-time de 18 jours.

Le potentiel de trafic, qui s’avère important, incite actuellement, outre YHF Intermodal Logistics, HUPAC ou InterRail Services qui viennent d’être cités, plusieurs opérateurs de transport tels que DHL ou UPS à développer leurs compétences de logisticiens sur les axes ferroviaires qui relient la Chine à l’Europe. Selon China.org.cn, « la Chine a ouvert à ce jour (17.03.2015), huit lignes de chemin de fer à destination de l’Europe qui, tout en contribuant aux échanges commerciaux entre les pays traversés et à l’intégration économique régionale, permettront aux entreprises chinoises de se développer à l’étranger. »

Selon le The Washington Post, le gouvernement chinois a déjà alloué plus de 32 milliards d’euros à une amélioration des infrastructures et de la logistique des transports ferroviaires de fret, afin de rapprocher la Chine des marchés européens. Au mois de mai 2015, le Beijing Times, organe quasi officiel du régime chinois, rapportait par ailleurs que la Chine prévoyait la construction de quatre lignes à grande vitesse pour passagers, allant respectivement de la Chine à Singapour, en Allemagne, au Royaume-Uni et jusqu’aux États-Unis.

Si le transport maritime a encore de beaux jours devant lui, l’option rail commence à se positionner comme une alternative prometteuses sur le rapport coût/délai au départ de l’intérieur de la Chine, notamment vis-à-vis du transport combiné mer + air, voire même de l’aérien dans certains cas.

 

Divers

 

Programme TRACECA (pour mémoire)

Le projet EATL (Liaisons de transport Europe-Asie) est une entreprise commune de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU) et de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie et le Pacifique (CESAP). Ce projet concerne les liaisons ferroviaires et routières de dix-huit États de la région eurasiatique. Ce projet envisage différents corridors entre l’Asie et l’Europe comme le TRACECA.

Asian Infrastructure Investment Bank : participation de 4 pays membres de l’Union européenne, l’Allemagne, l’Italie, la France et du Royaume-Uni au capital de l’AIIB, d’initiative chinoise.

Le projet Marathon, fin 2016

Financé par la Commission européenne, le projet Marathon a pour objectif de mettre en service un train de fret géant qui desservira les grands corridors européens. Ce projet collaboratif unique rassemble seize partenaires, dont Alstom, Réseau ferré de France (RFF), la SNCF, ainsi que le Suédois Trafikverket et l’Allemand Vossloh. Marathon répond aux besoins exprimés par les chargeurs et les opérateurs de transport combiné qui souhaitent des capacités d’emport plus importantes, une augmentation de la vitesse commerciale et l’optimisation des charges sur les longues distances. L’idée retenue a été de réunir l’équivalent de deux trains de fret classiques, soit 70 wagons au lieu de 35, roulant à une vitesse de 100 km/h. Le défi technique a été relevé. Après deux années de préparation, les premiers essais ont été effectués en janvier 2014, puis en avril entre Nîmes et Sibelin (près de Lyon). Deux trains de 750 m de long ont été jumelés pour n’en former qu’un seul de 1 500 m et de 4 000 tonnes, tracté par deux locomotives. L’innovation réside dans un système de radio-commande qui permet de relier la locomotive de tête conduite par un agent et la locomotive sans conducteur située au milieu du train. L’allongement des trains permettra à terme aux opérateurs ferroviaires de capter du trafic sans commander de sillons supplémentaires*. Cette innovation renforcera la compétitivité du fret ferroviaire et le rendra plus attractif. La mise en exploitation de ces doubles trains devrait démarrer fin 2016 sur les grands corridors de fret européens ».

*Un sillon horaire est « la capacité d’infrastructure requise pour faire circuler un train donné d’un point à un autre à un moment donné », autrement dit la « période durant laquelle une infrastructure donnée est affectée à la circulation d’un train entre deux points du réseau ferré ». 

 

Les chemins de fer de la Fédération de Russie

La Compagnie des chemins de fer russes (Российские железные дороги, РЖД ou RZD) est la compagnie publique des chemins de fer en Russie. La RZD est l’une des plus grosses compagnies ferroviaires au monde, avec 1,3 millions de salariés (ou, selon une source différente, 950 000 salariés soit 1,3 % de la population active), elle assure 80 % du transport passagers en Russie, soit 1,3 milliard de passages / an et 82 % du transport du fret, soit 1,2 milliard de tonne/an. La RZD exploite le troisième réseau à l’échelle mondiale après les États-Unis et la Chine, avec 85 200 km de voies utilisées*, et transporte 947 millions de passagers par an (chiffres de 2009), elle possède 600.000 wagons de marchandises, 25.000 voitures de passagers et 13.000 locomotives. La compagnie pèse environ 3,5 % (ou 1,9 %) du PIB russe. Toutes ces caractéristiques font de RZD un actif stratégique pour le pays. La Russie a réintégré l’Union internationale des chemins de fer, UIC, en 2006.

*Ce que l’on appelle la « zone 1520 », chiffre correspondant, en millimètres, à l’écartement des voies qui prévaut en Russie depuis 1842, conforme aux normes en vigueur au sud des États-Unis, lieu d’origine du concepteur du tronçon inaugural Moscou-Saint-Pétersbourg, l’ingénieur américain G. W. Whistler. Cet écartement prévaut également dans les États issus de l’ex-URSS. Le standard européen est de 1 435 mm.

Sur le territoire russe, le réseau ferroviaire international de transport de fret est divisé en plusieurs itinéraires.

  • Le principal axe Est-Ouest est le Transsibérien, qui couvre 9 968 kilomètres. C’est également par ce corridor que transite la plus grande partie du fret de commerce extérieur : 67 % en 2012, soit 111,2 millions de tonnes.
  • Trois autres corridors forment actuellement le reste du réseau RZD :
  • l’axe Nord-Sud « Bouslovskaïa (à la frontière finlandaise) – Moscou – Samour » (5 % du fret avec 8,7 millions de tonnes),
  • MTK 2 « Berlin – Nijni Novgorod » (11 % de fret avec 17,5 millions de tonnes)
  • MTK 9 « Helsinki – Saint-Pétersbourg  – Kiev – Sofia – Alexandroupoli (Grèce) » (17 % de fret avec 27,9 millions de tonnes).

Le réseau ferré russe a créé une ligne à grande vitesse entre Moscou et Saint-Pétersbourg (le Sapsan) et le réseau de trains à grande vitesse devrait d’ici à 2020 relier les principales grandes villes de la moitié ouest du pays.

En mai 2007, se tenait à Moscou une conférence intitulée « Les mégaprojets de l’Est russe », ayant pour but de dévoiler les grands projets de l’État pour lutter contre le sous-développement et le sous-peuplement des régions de Sibérie et renforcer l’axe Est de la Russie.

La RZD a inauguré le 15 août 2011 une ligne touristique MoscouPékin. Le trajet dure 15 jours, avec des escales et des programmes touristiques dans les villes de Kazan, Ekaterinbourg, Novossibirsk, Krasnoïarsk, Irkoutsk, Oulan-Oude, Oulan-Bator et Erlian. Une autre ligne Pékin-Moscou, régulière celle-là, a également été mise en service par la RZD. D’autres projets de coopération sont en cours avec l’Indonésie, la Mongolie et la Corée du nord. La route ferroviaire vers la Chine est deux fois plus courte en temps que la voie maritime.

Vers l’Ouest, c’est un peu plus tard, le 12 décembre 2011, qu’est parti le premier train Moscou-Berlin-Paris selon un itinéraire passant par le territoire de cinq pays : Russie, Biélorussie, Pologne, Allemagne et France. 

En mai 2015, les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping signaient à Moscou un accord de coopération en vue de coordonner le développement de l’Union économique eurasiatique et le projet de « ceinture économique de la Route de la soie », pour construire « un espace économique commun » en Eurasie. Cet espace bénéficierait d’un Accord de libre échange entre l’UEEA et la Chine.

Projet en cours : la ligne à très grande vitesse destinée à relier la capitale à l’Oural (Moscou ; Vladimir ; Nijni Novgorod ; Kazan et Ekaterinbourg, soit 1 600 km en huit heures dès 2018 ; estimation : 31,6 milliards d’euros). Elle pourrait être prolongée vers la Chine via le Kazakhstan. L’enjeu du trafic passager est la desserte des Jeux olympiques d’hiver de 2018, Pyeongchang en Corée du Sud. Pékin participe à la construction du tronçon Moscou-Kazan de cette ligne pour 5,8 milliards de dollars sur un total de 21,4 milliards de dollars.

Le projet « Transsib 7 jours » (2012-2015) vise à acheminer en une semaine les marchandises de l’Extrême-Orient russe jusqu’à la frontière ouest du pays (renouveler les équipements techniques, accroître la vitesse de prise en charge des trains, augmenter la taille des quais de gare), en principe pour la fin de 2015…

La desserte de la Mongolie, notamment pour l’évacuation du charbon des mines d’Ovoot (le tronçon Erdenet-Ovoot du « Steppe Railway ») devrait apporter du fret au système des Routes terrestres de la soie.

 

Routes de la soie, routes de l’or

Lors de la visite du Président Xi Jinping à Moscou (8-10 mai 2015), la China National Gold Group Corporation annonçait la signature d’un accord avec Polyus Gold, premier producteur russe d’or, figurant parmi les dix premiers producteurs mondiaux, pour renforcer leur association dans la prospection minière, les échanges techniques et la fourniture d’équipements matériels.

Quelques jours plus tard, Pékin annonçait la création d’un fonds de 16 milliards de dollars pour développer l’exploitation des mines d’or le long des voies ferrées reliant la Chine, la Russie et l’Asie centrale.

Ce Fonds spécial consacré à l’or, le Xi’an Silk Road Fund Management, une joint-venture menée par les deux plus importants producteurs d’or de Chine (Shandong Gold Group, 35 % des parts, et Shaanxi Gold Group, 25 %), placée sous l’égide du Shanghai Gold Exchange (Banque centrale de Chine, PBOC) à été créé le 23 mai 2015 dans la ville de Xi’an (nord-ouest de la Chine). Il escompte lever 16 milliards de dollars.

Objectifs :

1) investir dans l’exploitation des mines d’or dans les pays situés le long des routes de la soie (notamment au Pakistan et en Afghanistan) ;

2) accroître le stock d’or chinois en vue d’obtenir l’intégration du yuan dans les Droits de tirage spéciaux du FMI, étape décisive pour le faire devenir une monnaie de réserve mondiale.

Song Xin, directeur général de la China National Gold Group Corporation : « China’s Belt and Road Initiative brings unprecedented opportunities for the gold industry. There is ample room for cooperation with neighboring countries, and we have advantages in technique, facilities, cash, and talents ». 

Le Transsibérien devrait être mieux utilisé par les PME européennes, ce qui suppose qu’elles sachent en maîtriser la logistique en adaptant ou créant les dispositifs adaptés à leurs situations spécifiques, notamment pour réduire la part d’inconnu que recèlent les distances géographiques, linguistiques et culturelles.

On ne serait pas complet sans évoquer, pour mémoire, la volonté de la Russie d’exploiter le marché que lui offre également le transport de fret vers le sud (axe transcaspien jusqu’au golfe Persique).

Liaisons eurasiatiques, avantages et handicaps 

Les enjeux habituels du développement des infrastructures de transport

On ne les rappellera que brièvement, car ils sont bien connus,. La mise en valeur des régions desservies et la coopération entre pays couvrent différents enjeux souvent interdépendants : la stabilité régionale par la création d’emplois, la mobilisation des ressources naturelles, la fluidité des biens nécessaires à la production et à la desserte des marchés, la mobilité des forces de l’ordre, la modernisation de proche en proche des réseaux adjacents voire la construction de chaînons manquants, les ressources tirées des droits de transit, etc. On retrouve là ce qui justifie généralement ce genre de projets.

Données relatives à la fonction économique du transport par conteneur

L’ampleur des besoins de transport entre l’Europe et la Chine découle de l’importance des échanges entre l’Europe et la Chine. Ce qui suit permet de situer ceux-ci en chiffres et en nature. Une augmentation sensible pourrait être observée à partir de 2017.

Les échanges commerciaux entre la Chine et l’UE ont été multipliés par 2,9 en dix ans (148 milliards d’euros, MM€ en 2003 ; 428 MM€ en 2013), faisant des deux zones des partenaires de premier plan, malgré la subsistance de zones de friction en matière de défense commerciale. En 2013, ils représentaient 12,5 % des échanges totaux de l’UE (États-Unis-UE : 484 MM€ en 2013, 14,2 %). En moyenne, près d’1,2 MM€ de biens et services est échangé chaque jour entre les deux zones.

Les importations européennes en provenance de Chine s’élevaient en 2013 à 280 MM€ (appareils électriques et électroniques, 26 % du total ; machines et équipements industriels, 21,8 % ; textile, habillement et chaussures, 12,2 % ; meubles et équipements du foyer, 4,2 % ; jouets, 3,8 %).

Les exportations de l’UE vers la Chine s’élevaient en 2013à 148 MM€, soit 8,5 % des exportations européennes (automobile, 19,50 % des exportations européennes vers la Chine ; équipements industriels, 22,9 % ; produits chimiques et pharmaceutiques, 8,42 % ; aéronautique, 4,4 %). L’UE est le premier fournisseur de la Chine devant le Japon, la Corée du Sud et Taiwan (Eurostat).

En décembre 2016, la Chine obtiendra le statut d’économie de marché

Rappel : en 2001, le protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC lui avait imposé le statut de « non-économie de marché » jusqu’en décembre 2016, notamment du fait que Pékin jouait un rôle prépondérant dans le soutien aux entreprises. Cette clause de sauvegarde a autorisé la prise de mesures antidumping. Bruxelles en a introduit une cinquantaine, au motif que des exportateurs chinois gagnaient des parts de marché d’une façon déloyale en proposant leurs produits au-dessous des coûts de production.

L’attribution du statut d’économie de marché (SEM au sens de l’OMC) en décembre 2016 permettra aux marchandises chinoises l’accès du marché européen à des prix plus bas que ce qui était autorisé jusqu’alors, car simultanément, elle va retirer à l’Union européenne la capacité de prendre des mesures anti-dumping. L’Economic Policy Institute (EPI), centre d’analyses basé à Washington, estime quant à lui dans un rapport publié le 18 septembre 2015, que les importations en provenance de Chine pourraient en conséquence augmenter de 50% d’ici 2020 (N. B. ce chiffre, sans doute exagéré, est probablement destiné à provoquer une réaction protectionniste en Occident. Il n’en indique pas moins une tendance).

Il faut donc s’attendre dès 2017 à une augmentation sensible du volume transporté entre les deux extrémités du continent eurasiatique.

Les moyens financiers disponibles

Six instruments financiers, dont les quatre premiers ont été récemment mis en place pour investir dans les infrastructures régionales de transport (voies ferrées, les routes et les transports d’hydrocarbure), constituent des ressources non négligeables (chiffres : milliards de dollars) :

  • Silk Road Fund (40) ;
  • Asian Infrastructure Bank (100) ;
  • Xi’an Silk Road Fund Management (16) ;
  • Japanese Fund (110) ;
  • Asian Development Bank (ADB) ;
  • European Bank for Reconstruction and Development (EBRD). 

On peut revenir aux caractéristiques des transports, en considérant les transports maritime et ferroviaire, deux modalités adaptées aux longues distance et aux quantités en cause. Les transporteurs ont en effet à choisir entre le train, plus rapide, et le bateau, qui permet, quant à lui, de charger d’énormes quantités sur les navires géants (l’avion, réservé au transport de petites quantités de produits de valeur ne sera pas évoqué)

Le transport maritime

 Les grands flux du transport maritime par conteneur

Le transport conteneurisé se divise en 3 tiers presque équivalents en importance avec dans l’ordre :

  • · le trafic Asie-Europe qui achemine les produits manufacturés principalement de Chine vers l’Europe.
  • · le trafic intra-asiatique, en pleine croissance, qui est devenu le premier trafic mondial en volume.
  • · le trafic transpacifique qui relie la Chine à l’Amérique du Nord, essentiellement aux États-Unis.

L’importance croissante de l’Asie dans les flux conteneurisés se retrouve largement dans le classement des ports mondiaux :

CHINE M EVP HORS CHINE M EVP
SHANGHAI 33,61    
    SINGAPOUR 32,57
SHENZEN 23,27    
HONG KONG 22,28    
    BUSAN (Corée du Sud) 17,67
NINGBO 17,32    
QINGDAO 15,52    
GUANGZHOU 15,30    
    DUBAI 13,64
TIANJIN 13,00    
    ROTTERDAM 11,62
TOTAL 140,30   78,50

Chiffres 2013. Sce : Armateurs de France oct-2014M EVP : million de conteneurs « équivalent vingt pieds » (soit 38,5 m3)

Prix du transport maritime par conteneur

Le coût du transport maritime est bien souvent négligeable dans le prix final d’une marchandise importée. Transporter entre la Chine et l’Europe un poste de télévision à 1 000 dollars n’en coûte qu’entre 8 et 10,  un T-shirt à 30 dollars, 3 centimes (2014), soit environ un centième du prix final d’une marchandise.

Le transport maritime est, sur longue distance, le plus compétitif des modes. Le coût du transport terrestre d’un conteneur sur quelques centaines de kilomètres peut égaler celui de ce même conteneur entre l’Asie et l’Europe du fait des économies d’échelle générées par l’augmentation de la taille des navires. Le prix moyen du transport d’un conteneur baisse de près de 15 % lorsqu’il emprunte un porte-conteneur à 18 000 EVP au lieu de 12 000 EVP. Le transport maritime réduit considérablement son coût grâce à la tendance historique d’accroissement de la capacité des navires et à l’amélioration de son efficacité énergétique. En revanche, il devient plus lent.

Sce : Armateurs de France oct-2014

Les points faibles du transport maritime

Augmentation de la capacité d’emport… et de la durée du voyage, du fait d’une vitesse moindre

En 2013, le Marco-Polo, de la compagnie française CMA-CGM, affecté à la French Asia Line qui relie l’Asie et le nord de l’Europe, était le plus grand porte-conteneurs du monde avec 16 000 conteneurs. Sa cargaison de 165 000 tonnes de marchandises équivaut au chargement d’une quarantaine de trains « Marathon » de 4 000 t.

Depuis, l’armement japonais Mitsui OSK Lines (MOL) annonçait en mars 2015 une commande de six navires porte-conteneurs de plus de 20 150 EVP (équivalents vingt pieds), ce qui en fera les plus grands porte-conteneurs jamais construits lors de leur livraison en 2017. Ils desserviront également les lignes Asie-Europe.

Des rotations plus longues : un navire de 13 000 EVP à 12 nœuds consomme 60 tonnes de fioul par jour, 3 fois plus à 22 nœuds et plus de 5 fois plus à 25 nœuds, soit 330 tonnes par jour. Il est donc plus intéressant de faire circuler les bateaux moins vite et de compenser en augmentant la taille et le nombre des navires. Avec un moteur de 100 000 chevaux, on transportait 6 500 EVP il y a 10 ans, 16 000 EVP aujourd’hui. La part des coûts fixes diminue considérablement dans le coût du transport : le prix du fuel compte ainsi pour 70 % du coût du voyage, contre moins de 25 % du coût d’un transport routier.  Les bateaux sont ralentis de 26 à 18/21 nœuds, voire même à 14 (25 km/h). Ainsi, sur les lignes Asie-Europe de la CMA, le service assuré par 8 unités en 56 jours le sera désormais par 10 navires en 70 jours. Le gain par rapport à une flotte de navires de la génération des 8 500 EPV atteindrait 30 %.

Par contre, la réserve de puissance permet aux nouveaux monstres de « mettre le turbo » en cas d’aléa maritime.

Une ponctualité aléatoire

La ponctualité n’est pas la première qualité du transport maritime : seulement 60 % des navires arrivent à temps.

Le tarif de transport, très conjoncturel, pâtit du déséquilibre des échanges entre l’Occident et l’Asie

Le tarifest fortement sensible aux fluctuations économiques, notamment à la demande sur les marchés occidentaux. Compte-tenu du déséquilibre des échanges commerciaux entre l’Occident et l’Asie, les bateaux qui opèrent eastbound (en direction de l’Est) emportent jusqu’à 30% de conteneurs vides. Un coût augmenté par une surcharge de 30 %, l’empty repositionning, répercutée sur le prix du fret dans le sens westbound. Il coûte donc plus cher de transporter le même conteneur d’Asie en Europe que dans le sens inverse. Sur le long terme, on n’observe pas de baisse tendancielle des coûts de transport.

La saturation des infrastructures portuaires

Enfin, le trafic par voie maritime est freiné par la saturation des infrastructures portuaires et par la nécessité pour celles-ci d’être capables de recevoir des bâtiments de taille croissante de 16 à 17 m de tirant d’eau. En outre, sa lenteur croissante le dessert pour un certain nombre de produits industriels de grande consommation (électronique, automobile).

Le train est une solution alternative

Trois chiffres peuvent en esquisser les avantages

10 000 $ C’est le coût du transport d’un conteneur sur un train long de 800 mètres qui relie la Chine à l’Europe, le double d’unfret maritime (par avion, entre 40 000 et 70 000 $). 

2,5 fois moins C’est l’énergie consommée par le fret ferroviaire comparé à la voie maritime. Le train consomme 5,5 fois moins que les camions poids lourds et 24 fois moins que l’avion. Conséquence, il émet moins de CO2.

13 jours Durée moyenne du parcours Chine-Europe (18 jours au maximum) contre 45 en bateau.

Le développement du fret ferroviaire semble se confirmer même s’il est loin d’être exponentiel.

En juin 2014, le chemin de fer ne captait qu’à peine 1 % du trafic commercial total couvrant la liaison Asie-Europe, Pékin prévoit de porter ce pourcentage entre 5 et 7 en 2020. Il éveille en effet un intérêt croissant. En 2013, le nombre de conteneurs circulant par rail entre la Chine et la Russie a progressé de 7 %, à 407.800 « boîtes », puis à nouveau de 8 % au premier trimestre 2014. Au total, les volumes transportés ont augmenté de 25 % entre 2008 et 2013 (+24,3 % entre 2007 et 2012 – 2012, année pendant laquelle 165,3 millions de tonnes de fret d’import-export et de transit ont traversé le territoire russe selon RZD, la compagnie nationale russe). Au cours des prochaines années, il ne fait guère de doute que la route Chine-Europe, comme la route intra-asiatique, conservera le premier rang au monde pour le transport de conteneurs. Mais, alors que le transport maritime repose sur un système unifié par les grands armements les chargeurs ne sont pas encore tous prêts à risquer la solution ferroviaire, a priori plus fragile du fait de la multiplicité des acteurs et des aléas de l’environnement technique et politique. 

Le déséquilibre des flux

Le trafic va donc se développer. Cependant le modèle reste fragile en raison du déséquilibre des flux : il n’y aura pas de Chine-Europe en l’absence d’un trafic en retour Europe-Chine. Car, pour l’instant, pour se rapprocher des conditions tarifaires du maritime, les autorités municipales des mégalopoles de l’intérieur, comme Wuhan, Chengdu ou Zhengzhou, subventionnent massivement les expéditions ferroviaires vers l’Europe. En conséquence, les marchandises envoyées sont transportées de 30 à 50 % moins cher que celles venant d’Europe. En l’absence de réciprocité du côté occidental, la plupart des conteneurs rentrent à vide, pesant sur le prix du transport.

Le coût du transport

Bien moins cher qu’un transport aérien, le coût de fret ferroviaire d’un conteneur complet reste élevé par rapport au fret maritime : environ 9 000 $ pour un TC 40′ de 66 m3 chez Trans Eurasia. Toutefois, avec l’augmentation régulière des fréquences de voyage et les aménagements d’infrastructures plus adaptées, les tarifs devraient baisser rapidement. Plus le produit est high tech, moins la part du transport dans son prix final est élevée (alors que la part du marketing et de la R&D, elles, deviennent considérables), pour un produit à 700 dollars environ – un poste de télévision par ex. – le coût du transport est de 10 dollars, soit 1,42%. 

À l’inverse, moins il y a de marketing et de high tech dans le produit transporté, plus la part du transport est élevée. Ainsi, dans les matières premières, la part du transport atteint 24% du prix final. Pour les produits agricoles, c’est 10% du prix.

Les documents répondent à la demande des autorités concernées par la marchandise transportée :

Le coût du transport comprend les droits de douanes, les taxes commerciales, les frais administratifs de douanes, les frais de courtage en douanes, les frais de manutention des marchandises dans le terminal, les frais de contrôles techniques, les frais d’assurance. Un certain nombre de documents valables annuellement ne nécessitent pas d’être renouvelés à chaque expédition (par exemple un acquit des autorités fiscales). Le temps nécessaire à l’établissement des documents et leur coût tendent à diminuer avec l’informatisation et la transmission des données, mais ne sont pas négligeables.

La simplification des démarches douanières ne semble pas encore achevée. Pour la Chine : 8 documents sont nécessaires ; Russie : 9 ; Corée du Sud : 3 ; les pays de l’Union européenne : 4.

Le délai d’acheminement

En comparaison avec le maritime, le délai d’acheminement par voie ferrée est divisé au moins par deux, d’autant que les marchandises des régions intérieures de la Chine nécessitent d’être préalablement acheminées par route jusqu’aux ports, ce qui augmente la durée du voyage. Cependant, beaucoup de progrès restent à faire, notamment sur le réseau russe dont les infrastructures inadaptées ne font pas face à la surcharge du trafic. En est responsable un nombre excessif de wagons de marchandises inutilisés (230 000 sur les 1,145 million du parc russe) qui encombrent les voies et gênent les manœuvres. De plus, l’absence de mutualisation contraint chaque entreprise de transport – leur nombre serait excessif – à faire rouler ses wagons à vide pour répondre à des demandes de chargement géographiquement éloignées, augmentant artificiellement le trafic. Cette surcharge réduirait la vitesse des trains de 12 % et serait responsable de 1 500 km des goulots d’étranglement cumulés sur l’ensemble du réseau. En résumé, le transsibérien doit d’abord répondre aux besoins croissants de transport intérieur russe et risque d’avoir du mal à absorber d’importants volumes de fret que va engendrer le transit sur son territoire entre Europe et Chine, ce qui justifie la réalisation de solutions alternatives par l’Asie centrale.

 Quelques données techniques

Le train-bloc

Le train-bloc est un train de marchandises acheminé directement de son point de départ à son point de destination, sans remaniement intermédiaire par opposition au train qui exige une recomposition intermédiaire en gare de triage. La performance des trains-blocs sur l’itinéraire transcontinental permet de raccourcir les distances et les délais : 18 jours environ par la Chine via le Kazakhstan, contre 6 semaines par voie maritime.

Noter qu’un trainde fret emporte entre 2 400 et 4 000 tonnes de marchandises, chaque wagon étant porteur de 4 conteneurs EPV, à une vitesse oscillant entre 100 et 120 km/h. Les wagons à très grande capacité d’emport (wagon surbaissé pour transport de conteneur type Container Well Wagon, charge utile de 78 tonnes) sont actuellement construits par la société Qiqihar Railway Rolling Stock, filiale de la China National Railway, CNR.

La sécurité de ces trains semble assurée. Un souci qui est loin d’être mineur, étant donné la valeur des cargaisons : un conteneur de 13 tonnes rempli d’ordinateurs peut valoir jusqu’à 2,4 millions de dollars…

En dépit des inconvénients résultant de la multiplication des frontières à franchir et des ruptures de charge (vols, dommages divers, aléas des livraisons) les éléments structurels et conjoncturels semblent aujourd’hui réunis pour le développement de la solution continentale.

La différence d’écartement des rails

Aux frontières de la « zone 1520 » (en millimètres, écartement des voies russes et ex-URSS), des solutions utilisées pour surmonter la différence d’écartement des rails se sont succédées. Après la solution traditionnelle du transbordement des voyageurs et des marchandises entre véhicules adaptés à chacun des réseaux, encore en usage (malgré : perte de temps et de confort, coûts supplémentaires, risques de dommages pour les marchandises) et l’emploi de véhicules à essieux ou bogies interchangeables (arrêt des trains sur des chantiers spéciaux et changement de locomotive) est arrivée la solution de véhicules dotés d’essieux à écartement variable, conçus pour permettre le déblocage des roues, leur déplacement transversal et leur reblocage sans arrêt, le train défilant à vitesse réduite sur une portion de voie spécialement équipée. Une autre solution consiste à recourir à une voie à double écartement, comportant selon le cas trois ou quatre files de rails, soit de manière permanente (par exemple dans les gares interfaces entre deux réseaux à écartement différents), soit temporairement lorsqu’un changement d’écartement a été programmé.

D’autres défis que la différence d’écartement des voies doivent être relevés pour assurer l’interopérabilité du trafic ferroviaire et leur assurer la fluidité optimale : l’alimentation électrique (d’où le recours possible à la traction diesel), la signalisation des voies, le gabarit des tunnels, la charge maximale à l’essieu, la longueur et le poids moyen des trains. Enfin, aux discontinuités techniques s’ajoute la longueur des formalités douanières.

Conclusion 

Selon certains, plus que la qualité des routes ou l’écartement des rails, les deux principaux obstacles à la reconstruction de la route de la soie sont le temps et l’argent perdus aux frontières (estimés à environ 40 % de la durée et du coût du voyage) et le coût des transports terrestres comparé à celui des transports maritimes.

Il en découlerait, ce qui paraît évident, que les nouvelles routes de la soie n’ont finalement rien de commun avec le commerce de la route de la soie historique fondé sur des produits rares et précieux et ne sauraient être économiquement adaptées au transport de masse qui caractérise la mondialisation et que satisfont les porte-conteneurs du transport maritime, qui rivalisent de gigantisme.

Ce point de vue est discutable, car si la mondialisation produit d’énormes quantités de marchandises, une partie d’entre elle est, sans être précieuse comme l’étaient les épices ou la soie, peut être vendue avec une plus value suffisante pour supporter le surcoût du transport terrestre par rapport au transport maritime (l’électronique ou l’automobile en sont les exemples types). Ce sera a fortiori la cas de marchandises qui, pouvant supporter un délai d’acheminement légèrement plus important, vont pouvoir abandonner le transport aérien pour prendre le train.  Et ce d’autant que la concertation internationale parvenant, certes lentement et difficilement, à réduire la perte de temps et d’argent aux frontières, le surcoût en serait diminué d’autant. Enfin, avec le temps et l’augmentation des fréquences, les coûts vont s’abaisser.

Par ailleurs, si le gouvernement chinois a repris le slogan des routes terrestres de la soie pour faire avancer ses vues sur l’Asie centrale tout en facilitant son commerce avec l’Europe, c’est que ses raisons sont loin de n’être qu’économiques et qu’il est capable d’investir sans attendre la rentabilité des infrastructures (les autorités chinoises subventionnent les expéditions ferroviaires pour favoriser le développement des villes éloignées de la côte, ce qui n’est pas le cas en Europe), sans pour autant empêcher les pays situés sur le tracé d’en tirer économiquement profit. Ce que le Président Xi Jinping appelle « gagnant-gagnant » peut en effet se traduire par « vous gagnez économiquement, moyennant quoi, vous me laisser libre de gagner politiquement ».

Le véritable obstacle ne se trouve pas dans la matérialité des conditions de transport, il réside essentiellement dans la dissymétrie actuelle des échanges entre l’Europe et l’Asie, la première n’ayant apparemment pas un volume d’exportation à la hauteur de ce qu’elle importe. Il faudra du temps avant que les demandes intérieures des pays asiatiques génèrent un flux peu ou prou équilibré. L’amélioration matérielle et l’organisation des transports suivront.

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