Chine : de la corruption, « vice public et vertu familiale » (Lin Yutang 林语堂)

FAIT

Hu Jintao 胡锦涛, n°1 sortant, a rappelé les dangers de la corruption et l’absolue nécessité de la combattre. Cai Mingzhao 蔡名照, porte-parole du 18e Congrès a expliqué que « la Chine était une nation en transition et que la lutte contre la corruption, courante et fréquente, difficile à prévenir et à punir, restera une tâche compliquée et [à mener] sur le long terme ».

Lors de sa première intervention en tant que nouveau n°1, Xi Jinping 习近平 a également insisté sur la priorité de la lutte contre la corruption.

 

ENJEUX

Depuis des décennies, les dirigeants successifs dénoncent la corruption sous des formes de litanies identiques, affirmant  qu’il en va de la crédibilité et de la survie du parti et du régime et dévoilant sélectivement les cas les plus flagrants pour éliminer les rivaux politiques. 

 

COMMENTAIRES

Puisé dans le patrimoine culturel, le thème de la corruption est depuis longtemps un outil de gesticulation politique. L’actualité et le 18e Congrès lui ont donné un nouveau relief et un nouvel élan.

« L’histoire de la Chine ne manque pas d’exemples de brillantes dynasties qui se sont écroulées à cause de la corruption des dirigeants et des gouvernements » confirme le professeur Li Chengyan 李成言, de l’Université de Pékin.

Dans les années 1930, l’essayiste Lin Yutang décrivait chaque famille chinoise « comme une unité communiste guidée dans ses activités par le principe « fais ce que tu peux et prends ce qu’il te faut ». Ainsi, précisait Lin, « le sinécurisme [sic] et le népotisme ne firent que croître et, de pair avec la pression économique, devinrent une force irrésistible minant tout essai de réforme politique, plutôt que minés par elle. C’est une force telle que des efforts répétés en vue d’une réforme n’ont, malgré les meilleures intentions, donné aucun résultat ». Avec l’humour qui le caractérise, Lin continuait : « Il se peut que la corruption soit un vice public, mais c’est une vertu familiale… Et voilà comment, si étrange que cela paraisse, le communisme chinois engendre l’individualisme, et comment l’esprit de famille, poussé à l’extrême, aboutit à une cleptomanie générale, teintée d’altruisme… La différence [entre l’Occident où un tel phénomène n’est pas absent, et l’Orient] est, qu’en Occident, il y a toujours la crainte du scandale, tandis qu’en Orient tout cela est parfaitement admis ». Le « communisme » que mentionnait Lin Yutang correspondait en fait à l’esprit communautaire des familles chinoises.

Non sans raison, un peu plus de 80 ans après ces écrits, on est tenté de rapprocher ces réflexions des « révélations » (en fait déjà connues, au moins en partie, mais rassemblées par une équipe de journalistes) sur l’immense fortune de la famille de Wen Jiabao 温家宝, le Premier ministre sortant.

Ce sont également des « grandes familles », regroupées malgré leurs divisions dans la faction des « fils de princes », qui s’efforcent de maintenir le poids des grandes entreprises d’État (∗), qui arrivent à défendre leurs intérêts et qui sortent vainqueurs des luttes pour l’accession aux places du Bureau politique après le 18e Congrès. Elles sont devenues la force dominante, à la fois dans la politique et dans les affaires. Leurs membres ont en commun le souvenir d’une difficile traversée de la  révolution culturelle durant laquelle ils ont appris que, finalement, seuls comptaient les liens familiaux.

Les mesures annoncées par Hu Jintao dans le cadre du Congrès pour limiter le poids des entreprises d’État, très liées aux grandes familles du régime, tout particulièrement à la faction des « fils de prince », semblent donc avoir peu de chance d’apparaître ou d’être appliquées. Les gouvernements à tous les niveaux, du national au local, dépendent des profits de ces entreprises, qui apportent un soutien aux factions du PCC et aux cadres du niveau inférieur, soutien crucial pour le gouvernement, ainsi qu’un soutien financier important à tous dans l’environnement social.

Xi Jinping, nouveau n°1, est réputé pour avoir des liens étroits avec de nombreux dirigeants politiques et militaires (tout aussi touchés par la corruption), notamment parmi les « fils de princes », en étant un lui-même. Pourrait-il pour autant s’opposer à leur volonté au point de modifier le système dont ils sont les premiers bénéficiaires ?

Enfin, la nomination de Wang Qishan 王岐山 au Comité permanent du Bureau politique, connu pour sa capacité et sa détermination à trouver des solutions, attendu pour ses compétences dans le domaine économique, a été chargé de la lutte anti corruption, de la loi et de l’ordre. Lui aussi « fils de prince », quel usage fera-t-il de ses talents ?

Le remède contre la corruption, ou une menace plus crédible au moins, consisterait à confier la tache à un organisme indépendant du pouvoir, autrement dit une solution impensable.

Le thème de la corruption est donc assuré de perdurer dans une nation qui reste officiellement en mutation.

La Chine est encore dans une très longue phase de « transition ».

Michel Jan, Asie21, novembre 2012

Extrait de la Lettre confidentielle Asie21-Futuribles n°56 novembre 2012