Mongolie : une cible du Japon

Mongolie : une cible du Japon

Entre Chine et Russie, aux portes des républiques d’Asie centrale,

Rémi Perelman, Asie 21-Futuribles, 09/2006

L’État mongol, fondé par Gengis Khan en 1206, célébrait son huitième centenaire cette année. Tokyo s’est associé à l’événement en faisant de 2006 l’Année de la Mongolie au Japon et, à sa suite, 2007, celle du Japon en Mongolie. Pourquoi tant d’attentions pour un pays enclavé de moins de 3 millions d’habitants ?

C’est que la Mongolie est située au « milieu des empires », selon une formule de Michel Jan. Et l’existence de ressources naturelles abondantes mais encore mal exploitées ajoute un certain intérêt à cet avantage géopolitique : les visées stratégiques que suscite le pays incorporent une « diplomatie des ressources ».

Sortie de l’emprise de Moscou en 1990, ralliée à l’économie de marché et au multipartisme, la Mongolie a été très vite courtisée. Par ses voisins d’abord, la Chine, qui l’a reconnue comme État indépendant en 1946 et la Russie qui, après l’avoir laissée sur le bord de la route, tente aujourd’hui d’y retrouver ses marques. Pour sa part, adoptant une attitude pragmatique dès la fin de la Guerre Froide, la Mongolie a mis en œuvre une politique extérieure fondée sur la création de liens nécessairement amicaux avec ses deux puissants proches voisins, mais équilibrés à leur tour par des relations avec des tiers tout aussi prééminents, en l’occurrence : Washington et Tokyo. Cette stratégie lui a permis de sauvegarder son indépendance, sa sécurité et d’obtenir le financement et la technologie nécessaires à son développement.

Les relations entre la Mongolie et le Japon contemporains portent la Chine en filigrane. Il est intéressant d’évoquer à ce propos le Tanaka Memorial Imperialist Conquest Plan. En 1927, le Premier ministre Tanaka aurait proposé à l’Empereur Hirohito ce plan qui faisait de la conquête de la Mandchourie et de la Mongolie le préalable à l’invasion de la Chine puis de l’ensemble de l’Asie orientale et du sud-est. Bien que les événements lui aient ensuite donné partiellement raison, il s’est cependant avéré dès 1929 que ce document n’était qu’un faux fabriqué par des agents chinois…ou – moins probablement – russes soucieux de lancer la Chine contre le Japon.

Pour en venir à une histoire plus récente, les relations nippo-mongoles sont passées par trois phases. D’abord l’affrontement. Depuis 1932, les Japonais sont solidement installés en Manchourie, première ligne de défense de l’Empire contre les aspirations russes et avant-poste d’occupation de la Chine. En août 1939, ils tentent d’envahir la Mongolie, tenue par l’URSS, en vue d’atteindre le Transsibérien. C’est un échec total. La bataille du Khalkin Gol voit l’anéantissement de la 23e division japonaise par l’Armée Rouge et les détachements mongols. Un traité de neutralité entre le Japon et la Russie est alors signé puis, en 1945, rompu pour repousser définitivement les Japonais hors du continent. Ensuite vient l’indifférence : les relations diplomatiques, reprises en 1972, restent formelles jusqu’à la fin de la Guerre Froide. S’ouvre alors la période de coopération.

Des raisons stratégiques expliquent cet intérêt de Tokyo pour la Mongolie. Le Japon est en effet aujourd’hui loin d’être satisfait de sa position en Asie orientale. Malgré sa puissance économique, des relations tendues avec la Chine et la Corée du Sud l’empêchent d’y exercer une réelle influence. D’où les efforts tentés, au sud, pour participer à des projets communs avec les pays de l’ASEAN et, au nord, pour séduire la Mongolie. Les visites croisées se multiplient dès 1989 tandis que les initiatives japonaises se diversifient et s’intensifient.

L’aide japonaise, généreuse, y est accueillie avec d’autant plus de gratitude que, conséquence du retrait de l’assistance de Moscou, le pays souffre d’une grave crise économique. Bien plus, elle cherche à construire un partenariat consistant dans le long terme. Depuis 1991, et pendant 15 années consécutives, le Japon – bien qu’il ne soit pas le seul – a été le premier donateur de la Mongolie, grâce tout à la fois à l’aide publique – y compris via la coopération décentralisée -, à l’investissement privé et à l’action des ONG. A l’origine, le dénuement du pays fait privilégier le volet humanitaire. Puis, à partir de 1997, l’effort porte sur la construction des infrastructures (énergie, transport, communications), l’accompagnement du développement économique (aide à l’évolution de l’agriculture, aux petites entreprises, à la protection de l’environnement et aux structures nécessaires à l’économie de marché) ainsi que sur l’amélioration de la santé publique et la formation des cadres. En 2002, l’aide met l’accent sur les relations culturelles, notamment avec l’édification d’un Centre culturel nippo-mongol au sein de l’université nationale mongole et, en 2003, elle s’étend à l’ensemble des villages du pays. En conséquence, la popularité du Japon a atteint 70 % d’opinions favorables dans la population. En outre, de nombreux Japonais et Mongols croient avoir une origine ancestrale commune… Le Japon appuie la candidature de la Mongolie à l’ASEM, Asia-Europe Meeting.

En contrepartie, la Mongolie soutient sans état d’âme les positions japonaises dans les instances internationales : candidature du Japon (ainsi que celles de l’Inde et de l’Allemagne) à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, participation à la création d’une majorité favorable au Japon à la Commission baleinière internationale – au grand dam des écologistes -, contribution à la politique de coopération, de sécurité et de stabilité régionale, notamment en collaborant à l’établissement d’un centre régional de formation dans le domaine du maintien de la paix…

À ce sujet, le Japon considère que la Mongolie dispose de deux avantages diplomatiques dont il est dépourvu : des relations étroites avec la République populaire démocratique de Corée et sa position d’observateur au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, OCS. Les premières sont mises à profit par Tokyo, qui trouve à Oulan-Bator un relais diplomatique détourné mais fort utile vers Pyongyang, qu’il s’agisse de la recherche d’un accord sur les dossiers du nucléaire militaire (Six-Party Talks), de l’arsenal de missiles ou du sort des citoyens japonais enlevés par le gouvernement nord-coréen. Le Japon ne peut qu’être satisfait des efforts qu’exercerait la Mongolie pour convaincre le régime de Pyongyang de réduire son agressivité et d’évoluer progressivement vers l’économie de marché. La seconde permet à Tokyo de ne pas être tenu complètement à l’écart de ce qui se dit au sein de l’OCS. L’éclairage qu’autorisent ces deux appuis relationnels structure désormais le « forum de dialogue » instauré entre les Premiers ministres japonais et mongol, lors de la visite de ce dernier au Japon en mars 2006, en vue de débattre de la situation régionale.

La Mongolie, devenue en 1924 le second pays communiste dans le monde et resté sous ce régime jusqu’à il y a moins de vingt ans, est l’un des trois plus pauvres pays d’Asie (aux côtés du Bangladesh et de la Corée du Nord), mais elle est en passe de réussir paisiblement sa transition vers la démocratie et l’économie de marché.

Placée au centre d’un jeu de pouvoir exercé par les grandes puissances, Oulan-Bator parvient en à tirer habilement profit. Le Japon pour son propre compte comme pour celui des États-Unis, s’y est assuré une complicité en jouant dans la durée sur l’ensemble des facteurs du développement, économique, politique et culturel. Son statut actuel l’empêche encore de créer des liens militaires – les États-Unis s’en sont chargés – mais il y a fort à parier que si les changements constitutionnels attendus par une part grandissante de la population japonaise l’y autorisaient, la coopération militaire japonaise retrouverait rapidement le chemin de la Mongolie. Tokyo renforcerait ainsi une tête de pont sur le continent, un atout stratégique considérable dans la compétition ouverte avec la Chine et une étape dans une démarche plus ambitieuse encore vers l’Asie centrale et ses ressources énergétiques. Mais le Japon joue probablement le rôle d’un poisson-pilote pour les Américains, en voie d’éviction de cette région par l’Organisation de coopération de Shanghai.

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Annexe

Une décennie d’aide économique japonaise à la Mongolie

(million de yen)

Année fiscale

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1999

Dons

494

3 308

3 908

4 535

5 905

5 825

4 803

4 298

29 987

Prêts

0

4 836

2 458

3 321

4 753

4 493

5 827

5 046

49 583

Coopération technique

151

402

681

1 810

2 272

2 337

1 813

1 933

16 108

Total

645

8 546

7 047

9 666

12 930

12 655

12 443

11 277

95 678

 

NB. En 2001, le Japon a suspendu ses prêts à la Mongolie dans l’attente de l’apurement des dettes qu’elle avait contractées avec la Russie, ce qui a été fait en 2003. La reprise de l’octroi de prêts en yens, pour un montant de 3 milliards de yens (env. 25 millions de dollars/19,7 millions d’euros), destiné à des bourses d’études (316 million yen pour la période 2006-2009) au développement des petites entreprises et à la protection de l’environnement, a eu lieu en 2006, lors de la visite du Premier ministre mongol à Tokyo, fin mars.

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